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Objectif 2035 : la Cour des comptes européenne donne son avis sur l’avenir de nos voitures

Par Eva Gomez

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D’après la Cour des comptes européenne, le pari de la sortie du thermique en 2035 pour parvenir à l’objectif zéro émission nette en 2050 s'annonce difficile à relever... L’institution propose une analyse des obstacles à franchir pour réaliser ces ambitions.

Des voitures émettent des polluants dans un embouteillage.
L'Europe pourra-t-elle atteindre ses objectifs de décarbonation des transports ? ©iStock

Entre avril 2021 et janvier 2024, la Cour des comptes européenne a publié quatre rapports autour de l’objectif « zéro émission nette » du parc automobile à horizon 2050. « Pour atteindre cet objectif, il faut travailler sur plusieurs axes : réduire les émissions de carbone des voitures à moteur thermique, étudier les possibilités offertes par les carburants alternatifs et parvenir à une adoption massive des véhicules électriques à batterie par le grand public », souligne la Cour des comptes européenne dans une analyse compilant les quatre audits sur ces sujets, rendue publique le 22 avril 2024. Et la conclusion est pour le moins prudente… « L’intention est louable, mais la route est jalonnée d’obstacles, qui devront être surmontés pour que cet objectif puisse être atteint », peut-on lire sur le communiqué de l’institution. Autrement dit : la fin du thermique en 2035 et le « zéro émission nette » en 2050, ce n’est pas gagné ! On fait le point sur les enseignements de l’institution européenne.

La difficile réduction des émissions de carbone des voitures thermiques

En 2021, les émissions de CO2 du secteur des transports représentaient 23% des émissions totales de gaz à effet de serre dans l’UE et la moitié de ces émissions est imputable aux voitures particulières. « Le pacte vert ne se concrétisera jamais si on ne s’attaque pas aux émissions des voitures. Mais nous sommes bien obligés de reconnaître que, malgré des ambitions fortes et des exigences strictes, la plupart des voitures thermiques actuelles émettent toujours la même quantité de CO2 qu’il y a 12 ans », souligne Nikolaos Milionis, membre de la Cour des comptes européenne. Le rapport publié par l’institution en janvier 2024* souligne en effet que malgré l’amélioration de l’efficience des moteurs, l’augmentation d’environ 10% du poids moyen des véhicules et de 25% de la puissance moyenne des moteurs sur la même période n’a pas permis de diminuer suffisamment les émissions de CO2. « Sur la dernière décennie, elles sont restées stables pour les voitures diesel et n’ont que très légèrement diminué (-4,6 %) pour les voitures à essence », précise le rapport. Nikolaos Milionis précise néanmoins que « l’écart [entre les émissions mesurées en laboratoire, Ndlr] et les émissions réelles sur route est de 24 % pour les voitures essence et 18 % pour les voitures diesel ».

Les voitures hybrides rechargeables sont aussi pointées du doigt : « L’écart moyen entre les émissions mesurées en laboratoire et celles constatées sur route est de l’ordre de 250% », souligne la Cour des comptes européenne. Pourtant, ces véhicules trop mal utilisés pour être vertueux sont toujours classés « à faibles émissions » au moins jusqu’en 2025, fait remarquer le rapport de janvier 2024. « Aux yeux des auditeurs, seul l’essor des véhicules électriques – passés d’une immatriculation de voiture neuve sur 100 en 2018 à près de 1 sur 7 en 2022 – a joué un rôle moteur dans la baisse des émissions moyennes de CO₂ sur route observée ces dernières années », est-il ajouté.

Dans l’état actuel des choses, la voiture électrique semble être la seule option viable pour parvenir à une flotte zéro émission.

Nikolaos Milionis,
membre de la Cour des comptes européenne.

Les carburants alternatifs : pas une alternative

Pour diminuer les émissions des véhicules à moteurs thermiques et à terme, remplacer l’essence et le gazole, les carburants alternatifs (biocarburants, carburants de synthèse…) sont souvent cités comme solution d’avenir. « Toutefois, dans leur rapport sur les biocarburants, les auditeurs ont mis en évidence l’absence d’une feuille de route précise et stable pour résoudre les problèmes à long terme du secteur : la quantité de carburant disponible, les coûts et le respect de l’environnement », rappelle la Cour des comptes. Ce rapport publié en décembre 2023** souligne notamment que les avantages environnementaux des biocarburants sont souvent surestimés : « Ceux produits à partir de matières premières issues de l’agriculture peuvent être préjudiciables à la biodiversité, aux sols et à l’eau », peut-on lire.

Quant aux carburants de synthèse et à l’hydrogène, leur production demande de grandes quantités d’énergie, qui n’est pas systématiquement décarbonée… Avec 15 kWh d’énergie verte, une voiture électrique peut parcourir 100 km, une voiture à hydrogène vert 35 km, tandis qu'une voiture alimentée en carburant de synthèse parcourra 20 km. Sans compter que les véhicules roulant au carburant de synthèse rejettent des oxydes d’azote (NOx), de l’ammoniac, ou encore du monoxyde de carbone. « Dans l’état actuel des choses, la voiture électrique semble être la seule option viable pour parvenir à une flotte zéro émission », confirme le membre de la Cour, Nikolaos Milionis.

L’Europe doit accélérer le passage à l’électrique

Pour autant, le passage aux véhicules électriques serait loin d’être suffisamment engagé selon l’institution, et ce malgré l’interdiction de la vente des voitures à moteur thermique à partir de 2035. Dans un rapport publié en juin 2023***, les auditeurs de la Cour des comptes européenne ont « constaté que l’industrie européenne des batteries est à la traîne par rapport à ses concurrents, qui pourraient court-circuiter la capacité de production de l’Europe avant même qu’elle soit parvenue à pleine charge ». En effet, moins de 10% de la capacité de production mondiale des batteries est basée en Europe, alors que la Chine représente à elle seule 76% de ces capacités mondiales. « S'il est vrai que l'Europe a potentiellement des réserves minérales inexploitées, leur mise en service peut prendre jusqu'à seize ans. Seize ans que l'Europe ne peut pas se permettre d’attendre », estime Annemie Turterlboom, membre de la Cour. « La capacité de l’Europe à sécuriser son approvisionnement en batteries est donc terriblement menacée. L’UE doit concilier son Green Deal avec sa politique industrielle et sa souveraineté économique. Sinon, la “révolution de la voiture électrique” en Europe dépendra des importations massives en provenance de Chine, au détriment de l'industrie automobile européenne et de ses plus de 3 millions d'emplois », prévient-elle.

Bon à savoir

Dans un rapport de 2021, la Cour des comptes européenne rappelle que l’Europe importe 87 % de son lithium brut d’Australie, 80 % de son manganèse d’Afrique du Sud et du Gabon, 68 % de son cobalt de la République démocratique du Congo et 40 % de son graphite de Chine.

Au-delà des capacités de production locales, la démocratisation de la voiture électrique ne se présente pas comme un long fleuve tranquille… « Les auditeurs ont également souligné que, malgré des aides publiques importantes, le coût des batteries produites dans l’UE reste beaucoup plus élevé que prévu. Cela nuit inévitablement à la compétitivité du secteur par rapport à d’autres acteurs mondiaux, ce qui pourrait se traduire par la mise sur le marché de véhicules électriques européens à des prix inabordables pour une grande partie de la population », souligne la Cour des comptes européenne. En 2022, une nouvelle immatriculation sur 7 était électrique en Europe, mais ces ventes concerneraient principalement des véhicules de plus de 30 000 euros. « Les ventes de véhicules électriques ont décollé en Europe, atteignant près de 15 % du marché des voitures neuves en 2023. Mais comment parviendrons-nous à atteindre les 85% restants, et quand ? Il s'agit d'un défi majeur pour les industriels européens, qui doivent produire de toute urgence des voitures électriques moins chères à grande échelle », estime Annemie Turtelboom.

Pas d’électromobilité sans infrastructures de recharge

Enfin, il existe un dernier frein à l’adoption massive de la voiture électrique : selon l’institution, le déploiement des infrastructures de recharge n’est pas suffisamment efficace pour répondre aux besoins d’électromobilité qui devraient exploser dans les années à venir. En avril 2021, un rapport**** soulignait en effet que l’objectif du million de bornes en 2025 était loin d’être atteint. En mai 2023, on en dénombrait 510 000 selon l’Observatoire européen des carburants alternatifs (EAFO).

« Malgré plusieurs réussites comme l’émergence d’une prise standard commune au niveau européen pour la recharge des véhicules électriques, parcourir les routes des Vingt-Sept au volant d’une voiture électrique reste compliqué », estime la Cour des comptes européenne. En effet, presque 70% des points de recharge européens sont concentrés en France, en Allemagne et aux Pays-Bas.

Une route longue et sinueuse

En mettant en perspective ces quatre rapports, la Cour des comptes européenne met donc en garde les Vingt-sept sur les défis qui restent à relever pour atteindre les objectifs de décarbonation. Finalement, « en interdisant les voitures essence et diesel à partir de 2035, l'Europe s'engage sur une route longue et sinueuse », estime Annemie Turtelboom. « Pour trouver sa voie, l'UE doit apporter une réponse aux deux dilemmes auxquels elle fait face : comment concilier le Green Deal non seulement avec la souveraineté industrielle, mais aussi avec l’accessibilité [des voitures électriques, Ndlr]. Elle doit trouver une réponse convaincante si elle veut réaliser ses ambitions », conclut-elle.