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Les ZFE font leurs preuves en Europe : qu’est-ce qui bloque en France ?

Par Eva Gomez

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Fin octobre 2023, l’ancienne ministre Barbara Pompili a remis au gouvernement un rapport sur les Zones à faibles émissions en Europe. Alors qu’en France, les ZFE font grincer des dents, ailleurs en Europe, elles font leurs preuves depuis parfois plus de 20 ans. On vous propose donc un petit tour d’horizon de ce qui se fait chez nos voisins.

panneau ZFE à Londres

Les ZFE font beaucoup parler d’elles en France depuis quelques mois…Développées dans le cadre de la lutte contre la pollution de l’air en milieu urbain, ces Zones à faibles émissions sont loin de faire l’unanimité : manque d’homogénéité selon les villes, dispositif créateur d’injustices sociales, aides insuffisantes… La liste des reproches est longue ! Ces zones sont pourtant implantées avec succès depuis des années dans plusieurs pays européens et dans une majorité des cas, elles sont bien perçues par la population. Aurions-nous donc quelques leçons à apprendre de nos voisins ?

Zones à faibles émissions en Europe : un peu d’histoire

C’est en 1996 à Malmö et Stockholm en Suède qu’ont vu le jour les premières « zones environnementales », qui ciblaient initialement les camions diesel et les bus de plus de 3,5 tonnes. Puis au début des années 2000, les « Low Emission Zones » – qui comprennent aussi bien des ZFE que des ZTL (Zones à trafic limité) – ont commencé à fleurir : « En 2005, les régions de l’Italie du Nord se sont réunies pour trouver des accords sur les mesures relatives à la qualité de l’air à mettre en œuvre. Cela a abouti à la mise en place de "Low Emission Zones" fonctionnant en hiver (…). En juillet 2007, les Pays-Bas ont commencé à mettre en œuvre des LEZ. Les LEZ de Berlin et Londres ont démarré respectivement en janvier et février 2008. Depuis, le nombre de projets européens planifiés n’a cessé d’augmenter », rappelle l’Agence de la transition écologique (Ademe) dans son rapport sur les Zones à faibles émissions à travers l’Europe.

Au total, 315 "Low Emission Zones" sont recensées dans 14 pays européens. Source : Ademe.  ©Roole
Au total, 315 "Low Emission Zones" sont recensées dans 14 pays européens. Source : Ademe. ©Roole

Des systèmes différents pour un même objectif

Partout les objectifs sont les mêmes : améliorer la qualité de l’air en limitant les émissions de polluants et de gaz à effet de serre, et décongestionner les centres urbains. Mais ces dispositifs prennent des formes différentes selon les pays – voire selon les régions ou les villes dans un même pays. Certaines LEZ fonctionnent avec des péages urbains, comme à Londres, Milan ou Amsterdam. À Londres, le péage n’est pas physique, mais prend la forme d’un forfait : les automobilistes qui roulent avec un véhicule jugé trop polluant (l’équivalent de nos Crit’Air 3, 4 et 5) doivent payer environ 15 euros (12,50 livres sterling) par jour pour entrer dans la zone, sous peine d’une amende de 190 euros. Des caméras contrôlent toutes les plaques d’immatriculation afin de vérifier le statut de chaque véhicule. « Les retours d’expérience montrent que cette combinaison entre LEZ et péage urbain permet à la fois d’agir sur le renouvellement du parc automobile et de réduire le nombre de véhicules en circulation à moyen et long termes. À Londres, le nombre total de véhicules détectés au sein de l’ULEZ a ainsi diminué (…) de 4 % (…) à l’intérieur du péage et de 4 % en dehors de la zone, en comparant 2019 et 2022 », précise l’Ademe.

Comment s’appellent les ZFE dans les autres pays ?


- En Allemagne, on parle de « Umweltzonen », ce qui signifie « zones environnementales ».
- En Italie, on trouve de très nombreuses « Zone a Traffico Limitato », qui sont l’équivalent de nos ZTL françaises.
- En Espagne, Madrid et Barcelone ont mis en place des « Zonas de Bajas Emisiones (ZBE), qui sont l’équivalent de nos ZFE.
- Au Royaume-Uni, Londres parle de « Low Emission Zone », voire « Ultra Low Emission Zone ». D’autres villes anglaises ont mis en œuvre par la suite, des « Clean Air Zones » (zones à air pur).

Londres mesure une diminution de 20 % de la concentration de dioxyde d’azote sur l’ensemble de l’ULEZ et jusqu’à 44 % dans le centre de la ville.

Des impacts avérés sur la qualité de l’air

D’autres pays comme l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, l’Espagne ou encore la Suède, optent pour des contrôles dits « manuels », réalisés par la police. Ce qui est également le cas en France, dans l’attente du déploiement des caméras à lecture de plaques d’immatriculation, promis par le gouvernement français pour le courant de l’année 2024. À Bruxelles, « les caméras utilisées pour le contrôle de la LEZ (…) montrent que la LEZ a permis d’accélérer le renouvellement des véhicules les plus polluants : entre le 3e trimestre 2018 et le dernier trimestre 2021, la part de l’ensemble des véhicules interdits en 2021 est passée d’environ 6 % à 0,2 % », nous apprend le rapport de l’Ademe. Les systèmes déployés diffèrent donc mais les résultats du point de vue de l'environnement sont les mêmes : une diminution de la concentration de polluants est observée partout où une LEZ a été mise en place. Par exemple, Londres mesure une diminution de 20 % de la concentration de dioxyde d’azote (NO2) sur l’ensemble de l’ULEZ et jusqu’à 44 % dans le centre de la ville. À Berlin, une réduction de 10,5 % des émissions de particules fines PM10 est enregistrée à proximité des axes routiers. Et la ville de Madrid mesure une baisse de 23 à 34 % du dioxyde d’azote dans l’air.

Bon à savoir

Il ne faut pas confondre ZTL et ZFE. Dans une « Zone à trafic limité », la circulation des véhicules motorisés est soumise à autorisation (résidents, livraisons, urgences…). Dans une « Zone à faibles émissions », seules certaines catégories de véhicules les plus polluants ont interdiction de circuler. En France, les ZFE étaient auparavant nommées « Zones à circulation restreinte » ou ZCR.

Entre exigence d’efficacité et souplesse de mise en œuvre

Mais pourquoi ces dispositifs fonctionneraient-ils mieux ailleurs qu’en France ? C’est ce qu’a cherché à comprendre l’ancienne ministre de la transition écologique Barbara Pompili, dans une mission confiée par Matignon en mars 2023. Dans ses travaux publiés en octobre, elle compare la mise en œuvre de « Low Emission Zones » dans 6 pays d’Europe : le Royaume-Uni, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne et l’Italie, pour ensuite établir des recommandations afin d’améliorer leur mise en œuvre en France. Barbara Pompili met notamment en avant le besoin de « rechercher le bon point d’équilibre entre l’efficacité du dispositif, qui nécessite un niveau d’exigence élevé applicable au plus grand nombre possible de véhicules, et la souplesse de mise en œuvre, qui assure que les ménages vulnérables (…) ne se sentent pas piégés et dépourvus de solution ».

Elle liste ainsi des exemples de dérogations ou dispositifs mis en place à l’étranger et dont la France pourrait s’inspirer. Parmi elles, le système italien du boîtier « Move in », qui, installé dans la voiture, « offre la possibilité, pendant un an, de parcourir un certain nombre de kilomètres (…) variant en fonction de la norme Euro du véhicule ». Ce système proposé aux petits rouleurs, additionne les kilomètres effectués sur les routes des municipalités participant à l’initiative. Une fois la limite atteinte, la voiture concernée n’a plus le droit de rouler dans les ZFE jusqu’à la fin de l’année.

S’adapter pour faciliter l’acceptation

D’autres dérogations ou initiatives sont proposées, par exemple en Allemagne, où le remplacement d’un véhicule peut être jugé « économiquement déraisonnable » et exempter le propriétaire de respecter la restriction de circulation. Toujours en Allemagne – et seulement en Allemagne – le fait d’équiper un véhicule diesel d’un filtre à particules peut permettre d’atteindre la catégorie de vignette supérieure. En Lombardie, une dérogation est également possible pour les véhicules qui transportent trois personnes minimum, ce qui encourage la pratique du covoiturage et ainsi, la réduction du nombre de véhicules polluants sur les routes… Autant de bonnes pratiques soulignées par l’Ademe, qui a également analysé l’accueil de ces dispositifs par la population. « En Europe, les LEZ sont généralement bien perçues. En Italie, la LEZ de Milan comprenant un péage urbain a été mise en place après un référendum approuvé à près de 80%, tandis qu’en Espagne, c’est la décision du nouveau maire de Madrid d’interrompre les contrôles de la LEZ qui a été contestée par une partie de la population lors de manifestations », indique l’Ademe dans son rapport. « Si la littérature fait mention d’oppositions aux projets de LEZ, il semblerait que celles-ci soient très minoritaires », est-il ajouté.

Un cas de discorde à Londres

À Londres, l’annonce de l’extension de l’Ultra Low Emission Zone (ULEZ) au territoire du Grand Londres, effective depuis fin août 2023, n’a pas été bien reçue par la population. Cinq millions d’habitants supplémentaires sont désormais concernés par cette zone où les voitures doivent répondre aux normes Euro 6 pour les véhicules diesel et aux normes Euro 4 pour les modèles essence. Depuis cette extension, la ZFE de Londres est l’une des plus grandes du monde. Pour y circuler, pas besoin d’une vignette comme notre vignette Crit’Air, qui est spécifique à la France : un système de lecture des plaques d’immatriculation récupère les données techniques de la voiture, qui doit être préalablement inscrite sur une plateforme spécifique. Plusieurs centaines de caméras de lecture de plaques ont été vandalisées en signe de protestation. Malgré tout, un récent sondage de YouGov affirme que 51% de la population londonienne soutiennent l’ULEZ, quand seuls 27% se déclarent fermement contre.

Bon à savoir

La vignette Crit’Air est un dispositif franco-français qui se base sur les normes Euro, la motorisation et le type de véhicule. En Allemagne, c’est la « vignette écologique » qui indique le niveau de pollution des véhicules. D’autres pays, comme le Danemark ou l’Angleterre, imposent d’enregistrer les véhicules sur une plateforme dédiée.

Quelles recommandations pour la France ?

Pour l’Ademe, au-delà des dérogations, l’acceptation de ces zones doit passer par l’accompagnement et les aides financières à destination des ménages les plus touchés par le déploiement de ces zones, à savoir ceux dont les revenus sont les plus faibles. « Les dispositifs d’aides et d’accompagnement sont (…) déterminants pour diminuer les éventuelles fractures sociales engendrées par les LEZ. (…) Ces mesures financières doivent néanmoins avoir été pensées et adaptées aux besoins exprimés localement », souligne le rapport de l’Agence de la transition écologique.

Deuxième point : les populations concernées apprécient d’être intégrées aux processus. Consultations publiques, réunions, conférences citoyennes, co-construction du projet sont donc autant de leviers pour impliquer les citoyens, les aider à comprendre et ainsi favoriser l'acceptation des ZFE. « La communication et la concertation sont aussi des étapes clés dans l’acceptabilité et la compréhension de ces dispositifs », rappelle également le rapport de l’Ademe à juste titre. L’Observatoire réalisé par Roole avec Ipsos en 2022 révélait en effet que 56% des Français ne savaient pas ce qu’était une ZFE.

Barbara Pompili souligne elle aussi dans son rapport l’importance de l’information et de la communication autour de ces zones : « Il faut permettre aux ménages (…) de se préparer aux évolutions à venir : lorsqu’une évolution des exigences Crit’Air doit intervenir en plusieurs étapes, il faut annoncer le calendrier suffisamment à l’avance (…) et mieux faire connaître les ZFE : lancer une campagne de communication au niveau national pour en expliquer les enjeux », recommande-t-elle. Son rapport recommande également la mise en place d’un portail d’information « incluant un guichet unique pour la gestion des aides et un service de conseil en mobilité ». En France, 5 territoires dans lesquels les seuils de pollution atmosphérique sont régulièrement dépassés sont en particulier concernés par la mise en place de ZFE : Paris, Lyon, Aix-Marseille, Rouen, et Strasbourg. Dans ces villes, l’ancienne ministre préconise de majorer la prime à la conversion et d’étendre les aides aux habitants vivant en périphérie des ZFE. Son rapport conseille aussi entre autres d’encourager les alternatives au véhicule particulier (transports en commun, covoiturage, etc.) et le développement du rétrofit. « Pour que le dispositif fonctionne, les ZFE doivent être perçues comme utiles et les automobilistes ne doivent pas se sentir entravés dans leur mobilité », estime-t-elle enfin.

Vers des centres-villes zéro émission

Certaines villes européennes qui éprouvent ces dispositifs depuis 20 ans veulent même aller plus loin : Stockholm sera, dès la fin de l’année 2024, la première ville à interdire la circulation de toutes les voitures thermiques (y compris les voitures hybrides) dans une partie de son centre-ville. Seuls les véhicules électriques et à gaz aux normes Euro 6 pourront circuler sur un périmètre de 180 000 m², qui pourrait être élargi après 2025. Amsterdam affiche une ambition similaire à horizon 2030 dans son plan « Emission free » ... La preuve que ces aménagements peuvent convaincre !

En action

- Consulter le rapport de l’Ademe sur les ZFE en Europe.

- Lire L'Observatoire 2022 de Roole avec Ipsos sur la mobilité des Français à l'heure de la transition écologique.
- En savoir plus sur les ZFE en France sur le site du ministère de la Transition écologique.