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ZFE : les collectivités tentent de désamorcer ces « bombes sociales »

Par Eva Gomez

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Imposé dans le cadre de la loi d’orientation des mobilités (LOM) en 2019, le déploiement des Zones à faibles émissions mobilité (ZFE) françaises n’est pas un long fleuve tranquille. Alors que 43 agglomérations seront concernées en 2025, de nombreuses voix s’élèvent pour remettre en question ce dispositif, que les collectivités mettent en place timidement.

Panneau d'entrée dans la zone à faibles émissions du Grand Paris

Les ZFE ne font pas l’unanimité. « Mesure contraignante », « bombe sociale à retardement », « punitif », « injuste » … Au sein de la classe politique, depuis quelques semaines, le sujet fait débat. Ce dispositif pensé dans le cadre de la lutte contre la pollution de l’air omettrait selon de nombreux élus – en particulier écologistes – les considérations sociales. Les calendriers de mise en œuvre de ces zones à faibles émissions commencent à se bousculer et se mettent à jour régulièrement, comme c’est le cas dans le Grand Paris, qui pourrait à nouveau reculer la date d'interdiction de circulation des voitures vignettes Crit'Air 3, ou pour la ZFE de la métropole Lyonnaise par exemple, dans laquelle l’interdiction de circulation des véhicules vignette Crit’Air 2 a été repoussée à 2028 au lieu de 2026. En cause, « l’insuffisance des aides de l’Etat pour la mise en place de ce dispositif », dénonce l’élu Europe Ecologie les Verts (EELV) et président de la métropole du Grand Lyon, Bruno Bernard. C’est en effet l’une des critiques faites par les députés, maires et élus qui élèvent leur voix contre les ZFE : la mise en œuvre de ce dispositif est imposée par le gouvernement, mais les modalités de déploiement dépendent de chaque collectivité et des moyens dont elle dispose. « L’écologie ne peut se faire que dans la concertation et la justice sociale », a rappelé Marine Tondelier, porte-parole EELV et élue du Pas-de-Calais, lors d’une interview sur France 5. « L’Etat laisse les collectivités territoriales se débrouiller pour mettre en place les ZFE. Il ne donne pas d’argent en plus, ne baisse pas la TVA sur les transports en commun, il n’y a pas de dispositif national pour aider les gens à changer de véhicule », regrette-t-elle.

Des collectivités délaissées

« Le problème de la voiture en ville est réel. Sur la qualité de l’air et par la place qu’elle occupe. On ne peut pas d’un coup dire aux gens de ne plus circuler en voiture en ville, il faut des mesures d’accompagnement et aujourd’hui, beaucoup de maires de grandes villes se sentent seuls pour les déployer », ajoute Marine Tondelier. Le manque de communication et d’alternatives implémentables dans les délais imposés par les calendriers deviennent ainsi des freins.

Pour la porte-parole des Verts, le gouvernement pourrait pourtant être pourvoyeur de solutions en proposant par exemple aux collectivités, une TVA à 5,5% pour le développement des infrastructures de transport, ou en modifiant le principe des vignettes Crit’Air pour qu’elles prennent en compte, au-delà de leur impact en termes de pollution atmosphérique, le bilan carbone des véhicules.

Des exemples d’adaptation à Montpellier, Strasbourg ou encore Reims

Dans l’attente d’une réponse « d’en haut », les collectivités chargées de déployer ces ZFE s’adaptent pour rendre ces dispositifs plus acceptables en tenant compte des contraintes propres à leurs territoires. Le directeur Ile-de-France de l’organisation France Urbaine, en charge de l’éducation, des mobilités et des solidarités, Etienne Chaufour, a rappelé lors d’une conférence sur le salon Drive to Zero à Paris, un cas de figure qui se pose dans toutes les ZFE : « Les personnes qui habitent sur un territoire voisin d’une ZFE seront amenées à la traverser, mais ne vont pas bénéficier d’aides pour changer leur véhicule. 50% des émissions d’un territoire urbain se font sur des parcours de plus d’une demi-heure et cela devient un facteur d’isolement. » Afin d’éviter d’exclure un grand nombre d’automobilistes, les collectivités adaptent donc leur dispositif. A Montpellier, la métropole a par exemple prévu une dérogation « petit rouleur » pour les automobilistes roulant moins de 8000 km par an. Cette dérogation, accordée sur présentation de justificatifs, est valable pendant 3 ans à compter de la date d’exclusion du véhicule de la ZFE-m. A Strasbourg, une exception est prévue jusqu’à 24 fois par an pendant 24 heures pour les véhicules en théorie interdits de circulation.

Développer les alternatives et les contrôles

Même mesure dans le Grand Reims, où une dérogation temporaire est possible 52 fois par an pendant 24h. « Nous sommes en cours de création d’une application pour prise de RDV, avec génération d’un justificatif pour entrer dans la zone et un décompte automatique », précise la métropole. Pour les personnes en fracture numérique, il sera possible de faire une demande au service en charge des dérogations. Toujours à Reims, la mise en place de la ZFE depuis septembre 2021 a déjà permis de constater une réduction de la pollution atmosphérique, avec une concentration de dioxyde d’azote au m3 désormais passée en-dessous des seuils réglementaires. Par conséquent, la métropole a décidé de bousculer le calendrier prévu et de reporter l’exclusion des véhicules Crit’Air 3 à 2029, au lieu de 2024. Un moratoire de 5 ans qui laisse à la collectivité le temps d’avancer sur le report modal et les aides à la conversion pour les particuliers. « 70% des déplacements en échange avec la ZFE-m font moins de 5 km ! Nous avons relevé le plafond des aides aux particuliers pour l’acquisition de vélos et de voitures, pour atteindre le revenu fiscal médian du Grand Reims, soit 21 000 €. L’aide concerne à la fois les véhicules neufs et d’occasion, électriques mais aussi Crit’Air 1 et 2 », nous précise la métropole. Côté transports en commun, l’objectif est que 100% des habitants du Grand Reims soient, à terme, à moins d’un kilomètre d’un transport.

Conscients des contraintes qu’imposent ces dispositifs à leurs administrés, les élus font pour beaucoup le choix d’instaurer des dérogations et des calendriers évolutifs, le temps de développer des alternatives et de permettre aux particuliers d’envisager leur mobilité urbaine autrement. Face aux critiques grandissantes, les collectivités avancent à petits pas. La ZFE de la métropole de Grenoble, qui sera effective cet été 2023 pour les voitures particulières, fait débat au sein même des autorités publiques : alors que le président de la métropole, Christophe Ferrari, propose une ZFE "non-permanente" qui serait appliquée seulement du lundi au vendredi, les maires des 13 communes de l'agglomération ne sont pas d'accord avec ce principe.

Au-delà des modalités de mise en œuvre, les conditions de contrôle et de sanction ne sont pas abouties. Les contrôles automatisés devraient être effectifs courant 2024 d’après le gouvernement mais pour l’instant, les collectivités « privilégient la pédagogie à la contrainte », comme le souligne la métropole du Grand Reims. Ce qui est paradoxal pour le vice-président en charge de la transition écologique de la région Ile-de-France, Yann Wehrling. « Les ZFE sont le seul moyen dont on dispose pour lutter efficacement contre la pollution de l’air, mais sa mise en œuvre est brutale : aujourd’hui 600 000 véhicules sont exclus de la ZFE du Grand Paris. Mais le système de contrôle n’est toujours pas mis en place faute d’homologation. Donc beaucoup de véhicules théoriquement exclus continuent d’y circuler », a-t-il souligné en conférence sur le salon Drive to Zero.

Vers une harmonisation des ZFE et des aides ?

Le déploiement de ces ZFE se montre donc hésitant. Lors d’une table ronde organisée à l’occasion de la Semaine de l’Innovation du Transport et de la Logistique (SITL), le chef de projet numérique de Logistic Low Carbon*, Jean-Philippe Elie, a souligné la difficulté à appréhender ces zones : « Il n’y a pas d’homogénéité de règles d’un territoire à l’autre. Il existe une trentaine de dérogations par collectivité, qui ne sont pas toutes identiques. » Selon lui, « à partir du moment où il y a trop de dérogations et qu’aucune sanction n’est mise en place, la règlementation n’existe plus ». Le défi de ces ZFE serait-il alors de se développer en s’harmonisant au maximum, tout en prenant davantage en compte les impacts sociaux et économiques ? C’est ce que qu’affirme Etienne Chaufour, tout en prônant l’élargissement du soutien aux territoires voisins des ZFE. « Si l’on veut être responsable, on ne peut pas reculer devant la loi. Mais si demain, on considère que ce qui relève des aides, du rétrofit, du leasing social, ne concerne pas seulement le territoire de la ZFE mais aussi le territoire voisin, cette loi peut devenir acceptable », considère-t-il. Et d’ajouter : « Aujourd’hui, 60% des usagers qui pourraient bénéficier des aides ne vont pas les réclamer. Confions aux territoires la gestion totale de ces aides. » Pour les collectivités concernées et les opposants en tout cas, la remise en question des conditions de mise en œuvre parait indispensable.

Pour tenter de répondre à ces inquiétudes, le Sénat a lancé début mars une mission pour une meilleure prise en compte de l’acceptabilité sociale de ces zones. Dans ce cadre et afin d'identifier les difficultés au mieux, les Français sont appelés à répondre à une consultation en ligne lancée ce lundi 17 avril, qui durera jusqu'au 14 mai prochain.

*Logistic Low Carbon fait partie du programme InTerLUD (pour Innovations Territoriales et Logistiques Urbaines, approuvé par le ministère de la Transition écologique dans le cadre du dispositif des Certificats d’économie d’énergie (CEE) et à l’origine de la création de la plateforme ZFE.green.