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Les e-carburants : une solution pour une automobile plus propre ?

Par Eva Gomez

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En 2023, l'Union européenne a voté l’interdiction de la vente de voitures thermiques en 2035 en Europe. Mais les voitures utilisant exclusivement des e-carburants pourront toujours être immatriculées au-delà de cette échéance. Comment ces carburants de synthèse sont-ils produits ? Sont-ils une solution viable pour l’avenir ? On fait le point.

Les carburants de synthèse sont produits à partir de CO2 et d’hydrogène. ©iStock

Le 27 mars 2023, après plusieurs rebondissements, l’Union européenne a définitivement voté l’interdiction de la vente de véhicules neufs à moteur thermique dès 2035. Quelques semaines avant, ce vote avait été reporté car l’Allemagne – soutenue par l’Italie – s’était abstenue, réclamant à la Commission Européenne qu’elle ouvre la voie aux carburants de synthèse comme alternative « propre » aux carburants fossiles. Une réclamation qui a porté ses fruits : les voitures à moteur thermique utilisant exclusivement des e-carburants pourront être immatriculées après 2035. Mais faut-il se réjouir de cette exemption accordée aux carburants de synthèse ? Pour se faire une idée, il faut comprendre ce que sont les e-carburants et les enjeux qu’ils soulèvent.

Qu’est-ce que le e-carburant ?  

E-carburant (pour électro-carburant), e-fuel, carburant synthétique, carburant de synthèse… Toutes ces expressions désignent une même typologie de carburant, qui pourrait représenter une alternative aux carburants classiques, compatible avec les moteurs thermiques à combustion mais neutre en émissions de CO2 (à l’usage de la voiture). Ces carburants de synthèse sont produits à partir de CO2 et d’hydrogène, lequel est obtenu dans le meilleur des cas grâce à de l’électricité décarbonée (hydrogène vert).

Bon à savoir

Il ne faut pas confondre les e-carburants et les biocarburants. Ces derniers sont obtenus à partir de biomasse (matière première d’origine végétale, animale ou issue de déchets).

Comment sont produits les e-carburants ?  

Les carburants de synthèse sont produits en laboratoire grâce à un procédé d’électrolyse de l’eau qui permet d’obtenir de l’oxygène et de l’hydrogène. « Pour produire de l'hydrogène de manière bas carbone, il faut utiliser de l'électricité : on casse des molécules d'eau pour en ressortir de l'hydrogène », précise Aurélien Bigo, chercheur sur la transition énergétique des transports. Cet hydrogène est ensuite mélangé à du dioxyde de carbone récupéré dans l’atmosphère ou sur les sites industriels émetteurs de CO2. « Récupérer du CO2 dans l'atmosphère (…) est plus vertueux, mais ça demande beaucoup d'électricité », souligne Aurélien Bigo.

Ce procédé n’utilise donc aucune énergie fossile et selon une étude publiée par l’ONG Transport & Environnement, sa production aurait une empreinte carbone 70% moins élevée que celle des carburants fossiles. À condition évidemment que l’électrolyse soit alimentée par de l'électricité renouvelable ou bas carbone. Mais dans tous les cas « le processus de production des carburants de synthèse demande de grandes quantités d'électricité », tempère Aurélien Bigo.

Les e-carburants sont-ils une solution viable pour l’industrie automobile ?  

Sur le papier donc, ces e-carburants répondraient aux objectifs nationaux et européens de décarbonation des transports. D’autant qu’ils pourraient être employés sans modification majeure sur les moteurs thermiques et que les infrastructures (stations-service) sont déjà existantes.

Un carburant coûteux ? 

Mais la possibilité de développer cette solution à grande échelle est compromise par des coûts de production très élevés, en raison des grandes quantités d'énergie qu'elle requiert. Des coûts qui se répercuteraient inévitablement sur les usagers, souligne le rapport d’analyse de l’IFP Energies Nouvelles pour Transport & Environnement : « Faire rouler une voiture avec des e-carburants sur cinq ans coûtera au conducteur 10 000 € de plus que faire rouler une voiture à batterie électrique ».

Le e-carburant : loin d’être zéro émission  

Les carburants de synthèse ne font par ailleurs pas des voitures zéro émission [de gaz à effet de serre, Ndlr]. Les véhicules roulant au e-fuel rejettent en effet des oxydes d’azote (NOx), de l’ammoniac, ou encore du monoxyde de carbone. Selon des tests effectués par l’organisme de recherche IFP Energies Nouvelles pour Transport & Environnement, les quantités d’oxyde d’azote émises par une voiture à e-carburant seraient égales à celles émises par une voiture à essence classique. Pire : elles émettraient beaucoup plus de monoxyde de carbone et d’ammoniac qu’une voiture à essence.

Les carburants de synthèse ne peuvent pas remettre en cause le développement de la voiture électrique d’ici 2035.

Valery Michaux,
enseignante-chercheuse à la Neoma Business School.

Dans une autre étude publiée en octobre 2023, l'ONG Transport & Environnement soutient même que « les voitures roulant aux e-fuels pourraient émettre 5 fois plus de CO2 que les voitures électriques (...) si l’Union Européenne renonce à son ambition d’appliquer aux e-fuels son exigence de neutralité carbone ». Pour parvenir à cette conclusion, l'ONG a calculé les émissions de CO2 des e-fuels depuis leur production jusqu'à leur utilisation, en passant par leur distribution. « L’analyse montre que les voitures alimentées aux e-fuels émettront 61 grammes d'équivalent CO2 par kilomètre en 2035, si les législateurs appliquent le critère plus faible de 70 % de neutralité carbone, prévu par l’actuelle législation européenne sur les énergies renouvelables », partage Transport & Environnement. « En comparaison, les véhicules électriques n’émettront en moyenne que 13 g CO2eq/km à partir de 2035, en tenant compte de l’évolution du mix électrique européen », ajoute l'ONG avant de préciser que pour être totalement neutres en carbone, les carburants de synthèse devront être produits en utilisant du CO2 capturé dans l'air, « afin de compenser les émissions générées lorsque le carburant est brûlé dans le moteur ».

Une efficacité énergétique incapable de concurrencer l'électrique 

Mais étant donné qu’ils ne résolvent pas les problèmes de pollution de l’air, « les carburants de synthèse ne peuvent pas remettre en cause le développement de la voiture électrique d’ici 2035 » affirme Valery Michaux, enseignante-chercheuse à la Neoma Business School, dans un article du média The Conversation. Dans sa démonstration, elle souligne aussi la faible efficacité énergétique du e-fuel, en comparant le nombre de kilomètres que permettent de parcourir les différentes technologies vertes.

Avec 15 kWh d’énergie verte, une voiture électrique peut parcourir 100 km, une voiture à hydrogène vert 35 km, tandis qu'une voiture alimentée en carburant de synthèse parcourra 20 km. Cela revient à dire qu'il faut 5 fois plus d'énergie pour parcourir la même distance au e-fuel qu'à l'électrique. Aurélien Bigo fait remarquer le non-sens de cette solution au regard des consommations d’énergie, en affirmant : « Faire rouler une voiture sur 100 km avec des carburants de synthèse demande de l'ordre de 4 à 5 fois plus d'électricité qu’une voiture électrique à batterie. Il va falloir économiser autant que possible nos volumes de production d'électricité… C'est beaucoup plus efficace d'utiliser des voitures électriques à batterie plutôt que des carburants de synthèse. »

Une solution crédible pour d’autres secteurs des transports 

Pour Valery Michaux, « une progression spectaculaire [des e-carburants] peut être crédible si le monde entier misait sur eux mais cela poserait beaucoup plus de problèmes que la voiture électrique en termes énergétiques. Cela ne veut pas dire qu’on ne roulera jamais avec des carburants de synthèse puisqu’on a déjà misé sur eux pour l’aviation de demain et que la mobilité lourde, qui commence tout juste sa transition, peut être également très intéressée. »

Un point de vue corroboré par Aurélien Bigo, qui estime que les carburants de synthèse « peuvent éventuellement être utiles pour des modes de transport pour lesquels l'électrique n'est pas possible. C'est par exemple le cas dans le transport aérien ou dans le transport maritime ».

Les e-carburants : une solution transitoire pour l’automobile ?  

L’équipe Energie Environnement Mobilité d’Alcimed conclut que les e-carburants « se placent comme des solutions transitoires permettant aux industriels du transport de continuer à utiliser leur flotte en réduisant leurs émissions ». Pour le chercheur Aurélien Bigo, c’est vrai pour les poids lourds, l’aérien ou le maritime, mais peu probable pour les voitures particulières. « Aujourd'hui, les carburants de synthèse ne sont quasiment pas développés. Il va donc falloir lancer une filière de production qui va monter en puissance très progressivement », explique-t-il. Les faibles volumes disponibles au départ seront probablement privilégiés pour les modes de transports n’ayant pas d’autres alternatives. « Le transport aérien est déjà soumis des objectifs d'incorporation de carburant de synthèse qui sont déjà obligatoires dans la réglementation européenne », rappelle le chercheur.

Il semble donc invraisemblable que les carburants de synthèse s’imposent dans la mobilité automobile. « Pour la voiture, il y a davantage d'alternatives, avec l'électrique, qui est la moins mauvaise des technologies qu'on a à disposition pour ce type de véhicule », conclut Aurélien Bigo.