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La fin des ventes de voitures thermiques en 2035, c’est n’importe quoi : vrai ou faux ?

Par Florence Martin

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« La fin des ventes de voitures thermiques en 2035, c’est vraiment n’importe quoi. Comme s’il n’y avait pas d’autres solutions que l’électrique ! Que fait-on de l’hydrogène, des carburants de synthèse… ? Et puis 2035, la date a été choisie au doigt mouillé ! » On a tous déjà entendu ça, si on ne l’a pas pensé ! Alors, vrai ou faux ? La réponse de Laurent Perron, chef de projet industrie automobile au Shift Project*.

En mars 2023, après moults rebondissements, l'Union européenne validait la fin des ventes de voitures thermiques neuves à partir de 2035. À cette échéance, les véhicules émettant du CO2 en roulant ne pourront plus être mis sur le marché, ce qui exclut de fait les véhicules essence, diesel et hybride, au profit du 100% électrique. Une décision pas toujours comprise et beaucoup critiquée.

Une décision qui vient de haut… et de loin !

« Il faut dézoomer un peu pour comprendre pourquoi cette décision », démarre Laurent Perron. « La France et l’Europe sont guidées par l’Accord de Paris [traité international juridiquement contraignant sur les changements climatiques, entré en vigueur en 2016, NDLR] pour faire court, et par ce qu’on appelle en France la Stratégie Nationale bas-carbone, qui est en fait la feuille de route de chacun des secteurs d’émission en France. » L’ambition de cette Stratégie Nationale bas-carbone (SNBC) : atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, conformément aux engagements pris par l’Union européenne.

Le secteur des transports : dernier de la classe

Le secteur des transports n’échappe pas à cet objectif ambitieux. Et pour cause : il est le premier secteur émetteur de CO2 dans le monde. Et en France ! « Le secteur des transports a la particularité en France d’être le premier secteur émissif – de l’ordre de un tiers des émissions nationales – et d’être le seul secteur dont les émissions n’ont pas baissé depuis 1990. En effet, on a augmenté les émissions du transport pendant 30 ans et il faut qu’elles baissent, pour atteindre zéro, dans les 30 ans qui viennent. L’idée c’est qu’en 2050 on n’ait plus une goutte de pétrole ou d’énergie fossile utilisée dans les transports routiers. Ça ne va pas se faire tout seul ! »

La répartition sectorielle des émissions de gaz à effet de serre en France

Source : www.notre-environnement.gouv.fr (chiffres 2019) ©Roole
Source : www.notre-environnement.gouv.fr (chiffres 2019) ©Roole

Évolution des émissions de GES du secteur des transports en France

Source : www.notre-environnement.gouv.fr (chiffres : de 1990 à 2019) ©Roole
Source : www.notre-environnement.gouv.fr (chiffres : de 1990 à 2019) ©Roole

L’échéance de 2035 : pas vraiment fixée « au doigt mouillé »

Mais pourquoi bannir les moteurs thermiques dans les voitures neuves à partir de 2035 ? « La date de 2035 ne doit pas grand-chose au hasard dans le sens où pour renouveler le parc automobile, il faut entre 15 et 20 ans. Si on veut atteindre la neutralité carbone en 2050, ça suppose d’arrêter de vendre des véhicules thermiques en 2035 », explique notre expert. Car ce que dit la loi, c’est qu’à partir du 1er janvier 2035, les constructeurs automobiles ne pourront plus mettre sur le marché que des voitures et véhicules utilitaires légers « zéro émission ». Cela ne veut pas dire que les voitures thermiques déjà en circulation seront interdites de circuler à partir de cette date ou ne pourront plus se vendre sur le marché de l’occasion. Une voiture ayant une durée de vie de 15 ans en moyenne, on peut imaginer que des voitures essence vendues en 2034 circuleront jusqu’en 2050 et au-delà, sous réserve des restrictions de circulation comme celles imposées par les ZFE

Vous avez dit « alternatives à l’électrique » ?

Mais quid des carburants décarbonés ? L’hydrogène, les carburants de synthèse ou e-carburants sont considérés par certains, même au plus haut des Etats, comme des solutions pertinentes pour la transition de la mobilité automobile. Pourtant, la production de ces carburants alternatifs est loin d'être propre. L’hydrogène, par exemple, est produit à 95 % par vaporeformage, un procédé fortement émetteur de CO2. L’hydrogène vert, c’est-à-dire produit à partir d’électricité générée par l’énergie solaire, éolienne ou hydroélectrique, reste extrêmement minoritaire... et sa production nécessite de grandes quantités d'électricité bas carbone, tout comme la production de e-carburants. « Concernant les alternatives que pourraient être des carburants décarbonés, liquides ou gazeux, issus de la biomasse ou encore des carburants de synthèse : pour l’instant la démonstration n’est pas faite que nous aurons suffisamment de carburant de ce type là pour alimenter la mobilité légère », affirme Laurent Perron. Ce constat étant fait, ces carburants alternatifs doivent-ils être utilisés prioritairement pour la conception des voitures de demain ? Non, répond notre expert : « La solution facile pour électrifier la mobilité légère - c’est-à-dire voitures et camionnettes - et celle qui présente le meilleur rendement, c’est le véhicule électrique à batterie qu’on connait aujourd’hui et qui sera encore plus performant demain. »

Les quantités d’énergie décarbonée resteront limitées. Il faut les allouer aux activités et aux secteurs qui ne peuvent pas être facilement électrifiés.

Laurent Perron,
chef de projet industrie automobile au Shift Project

Affecter les bonnes ressources aux bons secteurs : la vision du Shift Project

Il est temps de finir de répondre à la question que beaucoup se posent : que fait-on de l’hydrogène, des carburants de synthèse, etc. ? « Ce qu’on dit là-dessus au Shift Project c’est qu’il faut avoir une vision systémique de nos besoins énergétiques. Les carburants de synthèse, les biocarburants au sens large ou même l’hydrogène vert, la mobilité n’est pas le seul secteur à en avoir besoin pour décarboner ses activités. Les quantités d’énergie décarbonée resteront limitées. Il faut donc impérativement les allouer aux activités et aux secteurs qui ne peuvent pas être facilement électrifiés. Réservons le peu d’hydrogène vert disponible, le peu de carburants de synthèse disponibles à des activités qu’on ne sait pas électrifier. Typiquement pour l’hydrogène : la mobilité lourde, pétrochimie ou sidérurgie par exemple », conclut Laurent Perron.

*Think tank qui œuvre en faveur d'une économie libérée de la contrainte carbone.