La vie sans voiture : mission impossible !
La vie sans voiture ? Mission impossible ! C’est ce que nous enseigne un sondage Ipsos pour Roole. À la question « seriez-vous prêt à vivre sans voiture ? », les Français répondent majoritairement par la négative. Ils sont en effet 90 % à reconnaître que la vie serait plus compliquée – une proportion identique pour les automobilistes des villes et pour ceux des campagnes. Ils sont même 33 % à juger que la vie sans voiture serait impossible. Yoann Demoli, maître de conférences en sociologie à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ), nous explique pourquoi.
Les Français sont-ils de plus en plus prêts à se passer de voiture ?
Yoann Demoli : Contrairement à ce qu'on croit, les Français ont du mal à penser une vie sans voiture. Comment l'expliquer ? D'abord, il faut le voir moins comme un phénomène individuel que collectif, structurel. En réalité, la dépendance automobile nous touche toutes et tous. Si on devait faire une comparaison, on pourrait dire que la voiture est un peu comme un réfrigérateur. Les Français ne peuvent pas se passer de réfrigérateur parce que rien n'est fait, dans l'approvisionnement, pour pouvoir s'en passer : il faudrait vraiment subvenir à ses besoins sans cesse. De la même façon, la mobilité est structurée de telle façon aujourd'hui que pour être mobile, il faut une voiture.
Je crois sincèrement que l'automobile, pour beaucoup de ménages, peut être considéré comme un bien premier. Un bien premier parce qu’elle permet d'accéder à des biens secondaires - secondaires non pas parce qu'ils sont moins importants mais parce qu'ils dépendent de ce premier bien.
Aujourd’hui, on laisse les Français dans une forme de double contrainte : on leur demande d’être mobiles, il y a une injonction à la mobilité. Quelqu'un qui réussit sa vie, c'est quelqu'un qui a bougé de chez lui, qui a bougé du lieu où il est né, qui bouge pour ses vacances, pour ses loisirs, qui vadrouille. C'est la première contrainte. Mais il y a une deuxième contrainte, et c'est une contrainte qui est très paradoxale : on leur demande d'être aussi plus écologiques, plus sensibles à leur empreinte environnementale, et d'arrêter ou de diminuer fortement l’usage de la voiture.
Comment expliquer le faible écart entre citadins et ruraux concernant la dépendance à la voiture ?
Y. D. : En réalité, la dépendance automobile est élevée pour une grande majorité de Français. Et cette majorité de Français, elle n'est pas simplement lisible en termes d’urbains et de ruraux, mais plutôt en termes d'habitants des hypercentres et d'habitants des périphéries (qu'elles soit périurbaines ou rurales).
Je crois vraiment qu’aujourd'hui, le clivage se fait davantage entre les habitants des hypercentres et les périurbains au sens large.
Yoann Demoli
En l'occurrence, que vous habitiez à Montreuil ou dans une petite commune à 15 km de Meaux (une commune rurale), la dépendance automobile sera forte dans l'un et l'autre cas. J'aime beaucoup cet exemple : quand on regarde le taux d'équipement en voitures à Montreuil (sur 100 ménages, combien ont une voiture), ce taux est plus élevé à Montreuil qu'à Paris 12e, qui est immédiatement limitrophe de Montreuil. Ce n’est pas parce que les habitants de Montreuil sont plus riches ou moins pro-environnement, ils se ressemblent assez fortement. C'est simplement parce que pour les habitants de Montreuil, qui doivent rejoindre une autre banlieue pour travailler, cela devient très compliqué de prendre les transports en commun. Donc je crois vraiment qu’aujourd'hui, le clivage se fait davantage entre les habitants des hypercentres - les « hyperurbains » si on peut les appeler ainsi – et les périurbains au sens large, incluant les habitants de banlieue au sens où ils sont autour de la ville. Ils peuvent avoir un accès aux transports en commun mais ils vont devoir passer par l'hypercentre pour aller dans d'autres lieux périphériques, de telle sorte que les trajets deviennent extrêmement longs. Il existe des possibilités pour eux mais elles rallongent très fortement le trajet.
Pourquoi la voiture a-t-elle toujours la préférence des Français, même lorsque d’autres moyens de transport existent ?
Y. D. : La voiture, comme tout autre moyen de locomotion, est là pour nous emmener d'un point A à un point B, entre un temps T et un temps T+1. La voiture permet de résoudre de façon presque optimale une équation spatio-temporelle dans la mesure où quand vous prenez votre voiture, vous allez réellement d'un point A - chez vous - à un point B : le lieu destination finale. Quand vous prenez un transport en commun, il est très rare que votre point de départ soit exactement votre domicile et que votre point d'arrivée soit au niveau d'un point de transport en commun. Donc il y a, avec les transports en commun, une disjonction entre lieu de travail et domicile qui n'est pas vrai dans le cas de la voiture. Là, on résout le spatial. Et on résout aussi le temporel grâce à la voiture parce que je peux prendre la voiture quand je veux. Ce n'est pas vrai pour les transports en commun, qui à un moment s'arrêtent, nécessitant de changer de type de transport.