Ventes de voitures électriques : pourquoi le marché stagne en France ?
Le marché français des voitures électriques stagne après plusieurs années de forte progression. Avec François Gemenne, professeur à HEC, et Aurélien de Meaux, co-fondateur d’Electra, on décrypte les freins qui ralentissent la transition : prix élevés, manque de constance dans les aides, attentes technologiques, inquiétudes sur l’autonomie et désinformation.
Après des années de croissance spectaculaire entre 2019 et 2023, le marché français des voitures électriques neuves marque le pas. Malgré le cadre réglementaire européen ambitieux, qui prévoit l’arrêt des ventes de voitures thermiques neuves en 2035, les modèles électriques plafonnent autour de 15 % de parts de marché en France depuis fin 2023. Une pause dans la dynamique d’électrification, que les experts expliquent par un ensemble de freins économiques, psychologiques et politiques.
Bon à savoir
En juillet 2025, 31 107 véhicules électriques et hybrides rechargeables ont été immatriculés. Les véhicules 100 % électriques représentent 14,9 % des parts de marché. (Source : Avere-France)


Le ralentissement s’explique moins par un désintérêt pour la technologie électrique que par une série de signaux contradictoires qui entretiennent la confusion chez les automobilistes. Pouvoir d’achat, perception de l’autonomie, instabilité des aides : les facteurs responsables de ce plateau sont multiples.
Bonus, aides : une instabilité qui retarde l’achat
Pour François Gemenne, professeur à HEC Paris et président de l’Alliance pour la décarbonation de la route, le frein principal est d’ordre économique. « Le prix d'acquisition d’un véhicule électrique reste très élevé », rappelle-t-il. Même si certains modèles tendent à s’aligner sur les prix des thermiques, la voiture électrique reste aujourd’hui un achat coûteux. Aurélien de Meaux, CEO d’Electra, note qu’« on commence à avoir des modèles à 25 000 ou 30 000 euros », mais que cela reste insuffisant pour déclencher un mouvement de masse. Pour une citadine électrique neuve, il faut en effet dépenser 25 000 à 30 000 euros. Pour une voiture familiale, les modèles d’entrée de gamme se situent entre 35 000 et 40 000 euros. Le leasing social lancé en 2024 à destination des ménages modestes a suscité un regain d’intérêt, mais l’effet dans les parts de marché reste ponctuel.
Bon à savoir
La livraison de 50 000 véhicules dans le cadre du dispositif de leasing social mi-2024 a créé un pic dans les parts de marché de l’électrique. Un autre rebond a été enregistré en juillet 2025 avec l’électrification des flottes professionnelles, dans le cadre de la loi d’orientation des mobilités (LOM).
Il y a fort à parier que la nouvelle édition du leasing social lancée fin septembre 2025 connaisse le même succès que celle de 2024 et booste à nouveau ponctuellement le marché. Néanmoins, d’après François Gemenne, le blocage ne tiendrait pas seulement aux tarifs eux-mêmes, mais à la volatilité des aides publiques. « Les politiques d’aides à l’achat sont erratiques », estime François Gemenne, pointant l’instabilité des dispositifs français. En effet, la prime à la conversion a été supprimée fin 2024 et début 2025, le bonus écologique a été raboté pour la seconde année consécutive, avant d’être revalorisé en juillet dernier. Une instabilité qui pousse certains Français à attendre de nouvelles évolutions, potentiellement plus favorables, pour s’engager.
Bon à savoir
Le bonus écologique a été revalorisé le 1er juillet 2025 : cette aide à l'achat d'une voiture électrique peut désormais atteindre 4 200 € pour les ménages modestes.
Une adoption freinée par l’attente technologique
L’attentisme trouve sa source dans un autre phénomène : l’idée que la technologie va encore fortement progresser. « Vu la vitesse à laquelle les technologies évoluent, on peut se dire : “je vais attendre encore un an ou deux, les nouvelles voitures seront encore meilleures” », observe François Gemenne.
Un frein psychologique lié à l’autonomie
Au-delà du contexte politique et technologique, la question de l’autonomie reste – malgré le développement significatif du réseau public de bornes de recharge en France – une source majeure d’hésitation. « Si la voiture n’a pas 450 km d’autonomie, les gens ont l’impression de perdre la liberté qu’incarne la voiture », explique Aurélien de Meaux. Un ressenti partagé par François Gemenne, qui parle d’une « obsession » pour l’autonomie des batteries, pourtant peu justifiée au regard des usages réels.
En moyenne, les Français parcourent 52 kilomètres par jour1↓, un chiffre bien en deçà des capacités de la plupart des véhicules électriques sur le marché. Mais la peur de se retrouver sans solution de recharge lors d’un long trajet demeure bien ancrée et constitue encore un frein majeur.
La désinformation nuit à l’adhésion
Autre facteur bloquant : la désinformation. François Gemenne dénonce la multiplication de discours infondés sur l’empreinte carbone, la fiabilité ou encore la durée de vie et le recyclage des batteries. « Il y a énormément de gourous et de charlatans qui vont vous raconter que les voitures électriques sont moins écologiques que les thermiques », alerte-t-il.
Ces discours parviennent à semer le doute et à ralentir l'adoption, malgré les nombreuses études qui démontrent l'intérêt de l'électrique : selon l’Ademe, une voiture électrique émet en moyenne deux à trois fois moins de CO2 sur l’ensemble de son cycle de vie qu’un modèle thermique, même en prenant en compte la fabrication de la batterie. En juillet dernier, une nouvelle étude de l’ICCT concluait même qu’en Europe, une voiture électrique émettait quatre fois moins de CO2 que son équivalent thermique sur l’ensemble de son cycle de vie. Elle est donc loin d'être neutre en carbone, mais beaucoup plus que son équivalent thermique. « J’ai parfois l’impression qu’on compare l’empreinte carbone de la voiture électrique à celle du vélo ou de la marche à pied ! Mais on oublie qu’une voiture électrique reste malgré tout une voiture, constituée de tonnes d’acier et d’électronique. Il est donc évident qu’il y a une empreinte environnementale », rappelle le président de l’Alliance pour la décarbonation de la route.
L’échéance de 2035 reste pertinente… et nécessaire
Malgré ces obstacles, les deux experts estiment que l’objectif européen de 2035 est non seulement atteignable, mais nécessaire. À cette date, chaque nouvelle voiture vendue en Europe devra rouler sans émettre le moindre gramme de CO₂ à l’échappement. « Si on ne fixe jamais de date butoir, on n'engage jamais véritablement le mouvement », affirme François Gemenne, qui estime que le marché pourrait même basculer plus tôt. Un point de vue partagé par Aurélien de Meaux, qui conclut : « La voiture électrique va, dans tous les cas, s’imposer. A nous de faire en sorte que ça se fasse avec nous et pas contre nous ! »
Bon à savoir
L’interdiction européenne de 2035 ne concernera pas les voitures déjà en circulation, mais uniquement les voitures neuves mises sur le marché. Une exception très limitée est prévue pour certains carburants synthétiques (e-carburants).