Bornes de recharge publiques : pourquoi leur déploiement ne doit pas se faire à un rythme effréné
En France, la mobilité électrique continue de se structurer. Si le développement des infrastructures de recharge se poursuit, les acteurs du secteur appellent cependant à une croissance mesurée, en tenant compte des besoins réels et des évolutions du marché. On fait le bilan de l’année 2024 avec Clément Molizon, délégué général de l’Avere-France.
Au dernier trimestre 2024, deux paliers importants ont été franchis pour le développement de la mobilité électrique en France : 2 millions de véhicules électriques et hybrides rechargeables sont en circulation sur les routes de l’Hexagone et plus de 150 000 bornes de recharge publiques sont installées. Au 30 novembre 2024, on dénombrait en effet 152 887 points de recharge publics déployés en France, soit une augmentation de 34 % par rapport à novembre 2023. Après avoir atteint le cap symbolique des 100 000 bornes installées sur le territoire français en mai 2023, le déploiement est donc toujours en cours, même si le rythme de croissance ralentit légèrement ces derniers mois.
Il n’y a pas de nécessité à poursuivre le déploiement [des bornes publiques] à un rythme effréné.
Clément Molizon,
délégué général de l’Avere-France.
« La croissance moyenne mensuelle est moins élevée en 2024 qu’en 2023, mais c’est justifié », explique Clément Molizon, délégué général de l’Avere-France, qui publie des baromètres mensuels avec le ministère de la transition écologique, afin de suivre le déploiement des bornes et les ventes de véhicules électriques. « Ces deux dernières années, beaucoup d’infrastructures ont été déployées (…) pour répondre à des obligations réglementaires, mais aussi grâce à des actions proactives des acteurs de la mobilité et des aménageurs. Les opérateurs de bornes électriques sont désormais positionnés un peu partout. Mais plus de 80 % des recharges se font à domicile et au travail, il n’y a donc pas de nécessité à poursuivre ce déploiement à un rythme effréné : il faut que ce soit soutenable financièrement par les acteurs du secteur », développe-t-il.
Bon à savoir
L’Avere-France, créée en 1978, est l’association nationale pour le développement de la mobilité électrique.
L’Île-de-France en tête du nombre de points de charge déployés
Les régions les plus équipées sont l’Île-de-France, avec 26 326 points de charge déployés, suivie de l’Auvergne-Rhône-Alpes et ses 18 040 points de charge, et du Grand Est, avec 15 105 points de charge. De l’autre côté du spectre, les régions où l’on trouve le moins de points de charge sont le Centre-Val-de-Loire (6 371), la Bretagne (6 304) et la Bourgogne-Franche-Comté (6 227). Pour autant, ces écarts régionaux ne sont pas alarmants, selon Clément Molizon. « On a un territoire extrêmement hétérogène, on ne peut pas imaginer un déploiement de la recharge qui soit homogène. En revanche, il faut que ce soit égalitaire et que les usagers puissent trouver des points de recharge aussi facilement dans toutes les régions », précise-t-il. « Il y a beaucoup plus de points de charge en Île-de-France, mais il y a aussi plus de besoins. Parfois, il peut être plus compliqué d’y accéder à un point de charge que dans d’autres territoires moins équipés mais moins densément peuplés », poursuit-il.
Un taux de disponibilité de 93 % fin 2024
Malgré un maillage de plus en plus affiné du territoire, l’accessibilité et la disponibilité de ces infrastructures sont parfois remises en cause. En novembre 2023, une étude de l’UFC Que Choisir estimait que seuls 74 % des points de recharge publics avaient fonctionné en permanence au second semestre 2022. Le taux moyen de disponibilité relevé par l’Avere était de 81% en 2023. « Il s’est beaucoup amélioré en 2024, il atteint désormais 93 % », souligne Clément Molizon. Une amélioration significative qui s’explique en grande partie par le travail effectué par Gireve* sur le traitement des données. « La donnée publiée jusqu’ici était un peu plus pessimiste que la réalité de terrain. Beaucoup d’acteurs produisent de la donnée, mais ce n’est pas homogénéisé », indique le délégué général de l’Avere. « Il est arrivé que des points de charge soient déclarés fonctionnels avant leur mise en service. Pendant plusieurs jours ou semaines, la disponibilité technique restait donc à zéro, ce qui faussait la moyenne », explique-t-il.
Bon à savoir
D’après une enquête de l’Avere-France avec Ipsos publiée en avril 2024, 93% des propriétaires de véhicules électriques sont satisfaits de leur achat.
« On est loin de la saturation »
En plus du taux de disponibilité des bornes publiques, l’Avere-France propose désormais un nouvel indicateur dans ses baromètres mensuels : le taux d’accessibilité, qui indique la possibilité pour les utilisateurs de trouver au moins un point de charge disponible et opérationnel. « Ce taux est aujourd’hui à 95 %, ce qui traduit le fait qu’on dispose de beaucoup d’infrastructures et que les taux d’utilisation sont encore assez faibles », souligne Clément Molizon. En moyenne, chaque point de charge enregistre 18 sessions par mois, ce qui représente un peu plus d’une recharge tous les deux jours. « On est loin de la saturation à l’échelle nationale, cela justifie la croissance de déploiement mesurée », soulève-t-il.
Bon à savoir
La France est sur le podium européen du nombre de points de recharge déployés : en première position, on trouve les Pays-Bas, avec plus de 170 000 points de charge. Puis l’Allemagne et la France sont au coude à coude, à la deuxième et troisième position.
Des évolutions en cours pour le paiement et la tarification
Même si au cœur des chassés-croisés des vacances, certaines stations sur autoroute commencent à être très fréquentées, l’amélioration continue des services de recharge contribue à rendre la recharge en itinérance relativement fluide pour le plus grand nombre. En avril 2024, l’entrée en vigueur du règlement européen AFIR a rendu obligatoire la présence d’un terminal de paiement sur les nouvelles infrastructures d’une puissance de 50 kW ou plus. Un pas de plus vers la simplification de la recharge en itinérance, quand on sait que 50 % des électromobilistes préfèrent la carte bancaire comme moyen de paiement pour leurs recharges hors domicile**.
Bon à savoir
Un tiers des conducteurs de voitures électriques privilégient les badges de recharge pour payer leurs recharges en itinérance. (Source : Avere-France et Ipsos)
En ce qui concerne le mode de tarification, souvent pointé du doigt pour son manque d’homogénéité, l’AFIR impose qu’au-delà de 50 kW, la recharge soit facturée au kWh. « Mais les législateurs européens ont compris que ce n’était pas si simple : avec la recharge lente, on est plus proche du stationnement – auquel on ajoute un peu d’électricité – donc ça fait sens de facturer la recharge à la minute », estime Clément Molizon. « L’harmonisation du mode de tarification ne traduirait pas la diversité des services de recharge qui sont proposés. Il faut être au plus proche de l’utilisation et des besoins des automobilistes », poursuit-il.
S’adapter au développement du marché du véhicule électrique
Pour 2025, « le principal enjeu n’est pas tellement du côté des bornes de recharge mais du côté du marché des véhicules électriques, qui se trouve sur un plateau fin 2024 », prévient le délégué général de l’Avere-France. En novembre 2024, la vente de véhicules électrifiés neufs a en effet baissé de plus de 24 % en France par rapport à novembre 2023. Et la suppression de la prime à la conversion ainsi que la diminution de l’aide du bonus écologique en cette fin d’année 2024 sèment le doute sur l’évolution du marché électrique dans les mois à venir.
Le déploiement des bornes de recharge doit pourtant inévitablement se faire en parallèle de l’évolution de ce marché, pour atteindre, en principe, l’objectif de 400 000 points de charge en 2030. « Cet objectif est toujours atteignable, mais il ne faut pas en faire un totem comme l’était le cap des 100 000 bornes en 2023. Si on se rend compte qu’il faut aller chercher les 500 000 points de charge en 2030, il faut pouvoir s’ajuster. Et au contraire, si on peut se contenter de 300 000 points, il ne servira à rien de trop en déployer », met en garde Clément Molizon. « Il faudra rester à l’écoute des opérateurs et des besoins des utilisateurs, en fonction du développement du marché », conclut-il.
*Gireve est une plateforme digitale qui agrège des acteurs de la mobilité en Europe et leurs données (réseaux de bornes de recharge, applications et solutions de mobilité pour les conducteurs de véhicules électriques, services de navigation…).