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L'objectif des 100 000 bornes de recharge est atteint. Et après ?

Par Eva Gomez

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Ce vendredi 5 mai 2023, le cap symbolique des 100 000 points de recharge électrique publics sera franchi en France. L'atteinte de cet objectif politique, qui survient plus tard qu'initialement prévu, est l’occasion de faire un point sur les enjeux de la recharge publique – mais aussi privée – en France, avec Clément Molizon, délégué général de l’Avere-France.

Une borne publique de recharge électrique à Paris

Au premier trimestre 2023, 509 000* véhicules électriques particuliers et utilitaires ont été immatriculés, dont 107 530 véhicules hybrides et hybrides rechargeables. Cela représente une hausse de 11,6% par rapport au premier trimestre 2022. Dans le même temps, le déploiement des bornes de recharge électrique s'accélère et le palier des 100 000 bornes, fixé comme objectif par le Président Emmanuel Macron, est sur le point d'être atteint. Un premier cap nécessaire sur lequel nous revenons avec Clément Molizon, délégué général de l’association nationale pour le développement de la mobilité électrique.

Ça y est, le fameux cap des 100 000 bornes de recharge publiques est sur le point d’être atteint en France. Quel est le rythme de déploiement actuel ?

Clément Molizon : Nous avons un rythme de croissance au-delà des 60% sur les 12 derniers mois, c’est un rythme important car on s’approche des 4 000 points de charge installés chaque mois en moyenne en 2023. C’est ce que l’on déployait en une année avant le Covid ! Il y a des tendances lourdes qui se maintiennent depuis plusieurs mois, sur les répartitions de puissance, la localisation, la disponibilité… Mais l’échelle augmente chaque mois. Sur 2023-2024, on devrait voir des mouvements plus importants encore, car les collectivités territoriales avaient mis en pause leur déploiement ces derniers mois pour rédiger leurs schémas directeurs. Il est donc probable que l’on voie des pics sur les installations en voirie et sur les parkings des collectivités.

Et où en est-on du déploiement de la recharge électrique ultra rapide sur autoroute ?

C.M. : Les sociétés autoroutières avaient obligation d’équiper leurs aires de services au 1er janvier 2023. Au 31 décembre 2022, 80% des aires étaient équipées. Aujourd’hui, l’ensemble des aires sont équipées pour la recharge, mais une partie ne l’est pas encore sur la charge ultra rapide. Les travaux devraient s’achever en septembre, et cet été pour les départs en vacances, on aura 90% d’équipement en recharge ultra rapide. Tous les signaux sont au vert ! L’été dernier déjà, les cas de saturation ont été très anecdotiques.

On estime qu’en 2030, entre 330 et 480 000 bornes de recharge publiques seront nécessaires.

Clément Molizon,
délégué général de l’Avere-France

Une borne de recharge rapide ou ultra rapide demande-t-elle plus de maintenance qu'une borne de recharge lente ?

C.M. : Les bornes de recharge ultra rapides présentent des conditions de maintenance particulières. On a d’ailleurs lancé un groupe de travail au sein de l’Avere pour traiter ce sujet. Plus le matériel est puissant, plus il a de composants, et plus on a besoin d’expertises particulières pour son entretien. L’accent doit être mis sur la maintenance car cela a un effet très négatif sur l’image, pas seulement de la mobilité électrique, mais aussi sur des installations et des opérateurs de service qui sont souvent pris à partie.

Le prochain grand objectif du gouvernement est d’atteindre les 400 000 bornes publiques en 2030. Vous parait-il réaliste ?

C.M. : Nous avons établi une revue de la littérature et des études de référence sur le territoire français concernant le maillage et les besoins. Ce qui nous permet d’estimer qu’en 2030, entre 330 et 480 000 bornes de recharges publiques seront nécessaires. Le prochain objectif fixé est de 400 000 bornes en 2030, la promesse du président de la République s’inscrit donc dans cette fourchette. Quand il était candidat, il avait annoncé 500 000 bornes en 2027 : le candidat était plus ambitieux que le Président ! Mais ce qui est sûr, c’est que les besoins vont croître en même temps que le nombre de véhicules électriques en circulation. Aujourd’hui, on en compte un peu plus d’1,2 million en France (en incluant les hybrides rechargeables). En 2019, nous avions établi des scénarios avec RTE : on estimait alors qu’en 2035, il y aurait 16 millions de véhicules électriques immatriculées mais en 4 ans, tous les scénarios ont été revus à la hausse.

Existe-t-il – au-delà du nombre de bornes à déployer – un maillage cible ou idéal ?

C.M. : Le bon maillage sera celui qui permettra qu’aucun utilisateur n’ait à renoncer à un déplacement à cause d’un manque de solution de recharge. On va aller de plus en plus vers une situation où les gens vont se recharger quand ils en auront l’opportunité, grâce aux équipements des supermarchés, des bâtiments non résidentiels et notamment des entreprises ! L’objectif des 100 000 bornes était un palier intéressant et nécessaire. Mais pour passer à la suite, il faut que tous les acteurs soient mobilisés. Plus il y aura de voitures électriques, plus il y aura de bornes, et plus il y aura de bornes, plus il y aura de gens qui se tourneront vers un véhicule électrique !

Quels sont les enjeux à venir pour ce réseau grandissant de bornes de recharge publiques ?

C.M. : L’enjeu à moyen terme, c’est la poursuite du déploiement sur les autoroutes et les grands axes routiers. Les aires qui sont sorties de terre ces derniers mois sont dimensionnées pour la demande de 2023, mais pas pour celle de 2025. Il y a également un gros enjeu sur l’itinérance du transport électrique lourd, qui va beaucoup se développer et impliquer des travaux colossaux pour répondre aux besoins de recharge. Et enfin, il faudra répondre à des enjeux de qualité de service et de maintenance de façon globale. Le consommateur est en droit d’exiger un service de qualité ! Et il faudra aussi rendre accueillant l’environnement des stations de recharge : par exemple prévoir une tonnelle pour ne pas prendre la pluie pendant qu’on passe son badge, et si la station n’est pas sur une aire avec des lieux d’intérêt, il faudra en développer à proximité.

Et du côté des bornes privées : comment percevez-vous le déploiement des installations ?

C.M. : C’est très compliqué d’estimer un chiffre car on se trouve en aval des compteurs donc il n’y pas de suivi précis. Pour le moment, les seules données dont on dispose sont les enquêtes consommateurs, qui démontrent une surreprésentation des installations en maison individuelle. Peu à peu, il faut élargir le marché et aller vers des gens qui vivent en copropriété, puis vers ceux qui vivent en copropriété ou en maison individuelle sans place de stationnement. Ces usagers-là dépendront uniquement des réseaux public et tertiaire. Ici, les entreprises ont un rôle très important à jouer !

Pour les copropriétés […] si on ne passe pas par des obligations, progressives et échelonnées, il ne pourra pas y avoir de développement significatif.

Clément Molizon,
délégué général de l’Avere-France

Quelles sont les priorités pour le développement de ce réseau privé, qui représente la grande majorité des usages ?

C.M. : Il existe déjà différents dispositifs financiers permettant d'atténuer le prix d’installation d'une borne privée. L’enjeu se situe vraiment du côté des copropriétés. Là aussi, il existe des solutions et dispositifs : un crédit d’impôts, le programme Advenir [piloté par l’Avere-France, Ndlr], qui prend en charge la moitié des coûts d’installation. Certains installateurs comme Zeplug proposent d'installer la borne gratuitement puis de facturer un forfait aux copropriétaires qui l'utilisent. Il y a aussi une solution en développement pour permettre au gestionnaire du réseau électrique (Enedis la plupart du temps) de préfinancer l'installation de la borne. Nous savons qu’une fois cette solution mise en place, nous aurons une augmentation des demandes. Pour l’instant, nous misons sur de l’incitation et de la pédagogie et c’est très bien. Mais nous avons quand même l’intuition que si on ne passe pas par des obligations, progressives et échelonnées, il ne pourra pas y avoir un développement significatif.

* Chiffres de l'Avere-France - Baromètre publié le 11 avril 2023.