Objectif 100 000 bornes de recharge électrique : quels enjeux pour quels besoins ?
Au cours du deuxième trimestre 2023, le territoire français devrait atteindre plus de 100 000 points publics de recharge électrique. Au-delà du symbole qu’il représente, ce chiffre souligne une dynamique installée et qui devrait continuer à s’amplifier... en tenant compte des besoins des usagers, aussi bien en termes de maillage territorial que de qualité des infrastructures.
Le fameux cap des 100 000 points atteint avant mi-2023
Début février, la ministre des PME Olivia Grégoire a annoncé lors d’un débat au Sénat que l’objectif gouvernemental de déployer 100 000 points de recharge électrique sur le territoire national – DOM-TOM compris – serait atteint au deuxième trimestre 2023. Un cap très attendu puisque cet objectif, fixé à l’origine pour fin 2020, a été repoussé à 2021, 2022 et enfin, mi-2023. « Il s’agit d’un chiffre fixé il y a quelques années, qui est surtout symbolique car il n’était accompagné d’aucune stratégie précise en termes de maillage ou de types d’installations. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle son atteinte a été reportée », explique Arthur Jouannic, directeur France du cabinet de conseil et de recherche européen spécialisé dans la transition énergétique, LCP Delta.
Symbolique mais non moins nécessaire aux yeux de Clément Molizon, délégué général de l’association Avere-France pour le développement de la mobilité électrique. « On avait besoin d’une dynamique dans la recharge au moment où il a été fixé en 2018. Aujourd’hui, 4 000 points de recharge sont déployés par mois, contre 4 000 par an avant Covid », se félicite-t-il. D’autant que « la recharge publique joue un rôle important de réassurance et de visibilité de la mobilité électrique, car si au quotidien on ne voit pas des stations et des véhicules en train de charger, on ne se sent pas forcément prêt à opérer la transition vers un véhicule électrique », estime Clément Molizon. Un point de vue partagé par Arthur Jouannic, pour lequel le manque de points de recharge, en particulier sur les longs trajets de vacances, serait le frein principal à l’adoption de la voiture électrique chez les particuliers, avant même le prix. « C’est leur première crainte ; la priorité est donc d’installer sur les aires d’autoroute des bornes capables de recharger un véhicule à 80 % en 30 minutes », estime-t-il.
Bon à savoir
Il faut distinguer « station de recharge », « borne de recharge » et « point de recharge ». Un « point de recharge » désigne une prise sur laquelle une seule voiture électrique peut se charger. Une borne est un appareil qui peut proposer une ou plusieurs prises (points de charge). Quant au terme « station de recharge », qu'on peut comparer à la « station service », il désigne un regroupement de plusieurs bornes et donc de plusieurs points de charge. L'objectif « 100 000 bornes de recharge » du Gouvernement fait donc en réalité référence à des « points de charge ».
Adapter le déploiement aux besoins
Le déploiement de ces bornes de charge destinées à l’itinérance suit son cours : toutes les aires des réseaux APRR et AREA sont désormais équipées, celles du réseau Sanef le sont à 80 % et que celles du réseau Vinci devraient l’être à 100 % d’ici fin 2023. Mais parmi ces stations routières et autoroutières, même si les bornes ont toutes une puissance de 22 kW minimum, moins de la moitié seulement ont une puissance supérieure ou égale à 100 kW*, permettant une charge rapide. « Ces points de recharge rapide ne fonctionnent pas toujours et il commence à y avoir des files d’attente car le nombre de véhicules électriques en circulation croît plus vite que le nombre de bornes disponibles », précise Arthur Jouannic. Ce retard certain dans le déploiement des points de charge rapide se comble néanmoins au fur et à mesure, puisque le nombre de points de 100 kW et plus a été multiplié par 5 en un an.
L’avenir de l’électrique, ce n’est pas de recharger rapidement comme on fait le plein à la pompe. C'est de recharger lentement, quand on se gare le temps de faire autre chose.
Clément Molizon,
délégué général de l'Avere-France
« On a misé longtemps sur la recharge lente ou moyenne car cela correspondait aux véhicules électriques en circulation et au besoin des usagers, qui faisaient moins de longs trajets », remarque Clément Molizon. En effet, la majorité des 85 284 points de charge déployés en France à fin janvier 2023 permettent une recharge moyenne ou lente. On les trouve principalement sur la voie publique, sur des parkings publics ou de centres commerciaux et restaurants. Mais doit-on pour autant tout miser sur la charge ultra-rapide ? Non, répondent nos experts. « De plus en plus, les gens veulent pouvoir utiliser leur voiture électrique comme ils utilisent une voiture thermique, mais il ne faut pas non plus imaginer que demain, la charge ultra-rapide sera majoritaire ! L’avenir de l’électrique, ce n’est pas de recharger rapidement comme on fait le plein à la pompe. C'est de recharger lentement, quand on se gare le temps de faire autre chose, pour récupérer quelques pourcents, comme on peut le faire avec un téléphone portable », poursuit le délégué général de l’Avere.
Priorité à la maintenance des infrastructures de recharge
Le premier cap de 100 000 bornes publiques étant presque atteint, le prochain objectif du gouvernement Macron est de 500 000 points de recharge à l’horizon 2027. Une ambition politique réaliste pour l’Avere-France, qui estime qu’à cette date, entre 330 000 et 480 000 points de recharge seront présents sur le territoire national. Du côté de LCP Delta, on prévoit 650 000 bornes déployées en 2030, soit une croissance de 800 %. Arthur Jouannic souligne néanmoins que « afin que le déploiement soit efficace, il faut que les bornes marchent. Il y a des contraintes de réparation sur le réseau existant, mais aussi de coût car le prix de l’installation d’un point de recharge sur autoroute est très élevé. Il y a donc un souci de retour sur investissement pour les opérateurs de bornes et on peut difficilement augmenter le prix de la recharge pour les consommateurs ». Un avis partagé par Clément Molizon, qui évoque la disponibilité des infrastructures et la nécessité d’une maintenance efficace. « Il y a aussi un enjeu important sur la transparence des prix et la structure tarifaire », ajoute-t-il.
Poursuivre l'installation de bornes privées
Mais il ne faut pas oublier que ces stations de recharge publiques sont presque anecdotiques dans le quotidien des automobilistes. Comme le rappelle l’Avere-France, « 90 % des usagers de véhicules électriques et hybrides rechargeables se branchent à leur domicile ou sur le lieu de leur entreprise ». Des solutions de recharge souvent beaucoup plus économiques que les bornes publiques ! La croissance du réseau de stations privées doit donc se faire en parallèle de celle du réseau de charge public.
Le nombre de bornes de recharge privées s’élevait à plus d’1 million au dernier trimestre 2022** car l’essentiel des automobilistes propriétaires d’un véhicule électrique se sont équipés au moment de l’achat de leur voiture électrique. « Il y aura de plus en plus de gens qui n’ont pas forcément accès à ces points privés et qui devront se reposer sur la recharge publique, notamment dans les zones urbaines où la maison individuelle n’est pas répandue », relève Clément Molizon. Il s’agira donc, au fur et à mesure de la croissance du parc électrique, de trouver le bon équilibre entre points de recharge privés et publics, en tenant compte des besoins propres à chaque territoire.
Quelques chiffres-clés
Au 31 janvier 2023, 85 284 points de recharges étaient disponibles en France, dont 3 177 ont été déployés sur le seul mois de janvier. En un an, le nombre de points de recharge a augmenté de 57 % sur le territoire français, avec une moyenne de 127 points pour 100 000 habitants. Le taux de disponibilité moyen d’un point de recharge est actuellement de 85%.
Source : Baromètre Février 2023 de l’Avere-France
* Le nombre de points de recharge routiers et autoroutiers toutes puissances confondues était de 4 219 fin 2022 et devrait s’établir à 5 665 à fin 2023. Sur ce total, seuls 1 952 ont une puissance de recharge ≥ 100 kW en fin 2022 (2 574 fin 2023).
Chiffres et estimations de LCP Delta
** Fin 2022, Enedis dénombrait 688 060 points de recharge privés installés au domicile des particuliers, et 493 648 points de charge dans les entreprises.
Source : Open data Enedis