L’autopartage entre proches se dessine un cadre

Prêter sa voiture à un ami, un voisin ou un membre de sa famille, c’est pratique et cela permet de mutualiser des voitures peu utilisées. Mais en cas de litige ou d’accident, cette pratique peut avoir des conséquences fâcheuses… Pour répondre aux besoins de sécurité, de logistique et d’assurance, des solutions naissent et espèrent prospérer.

Eva Gomez journaliste pour le média Roole
Eva Gomez
une femme souriante au volant d'une voiture

Qui n’a jamais prêté sa voiture à un ami ou emprunté la voiture d’un voisin ? Cette pratique relève de l’autopartage entre particuliers. Elle est très difficile à quantifier dans la mesure où elle est « sauvage », ou du moins se fait dans un contexte privé, sans cadre réglementaire ou assurantiel. L'autopartage « entre amis » se distingue de l’autopartage en libre-service proposé par des opérateurs de mobilité dans les collectivités ou encore de l’autopartage locatif, qui se pratique via des applications facilitant la location de voitures entre particuliers.

L’autopartage entre proches s’appuie sur des liens de confiance et une proximité sociale et géographique, mais il se heurte à des obstacles récurrents… « Ce qui pose le plus question, c’est l’assurance : les gens se demandent s’ils peuvent prêter leur voiture et avec quelles garanties », souligne Maryline Chasles, chargée de mission mobilité pour Dromolib, agence d’écomobilité de la Drôme fondée en 2014.

En France, 35 % des ménages possèdent deux voitures, 41 % dans un département rural comme la Drôme.

Dans le cadre de ses missions, Maryline Chasles est amenée à animer des groupes d’autopartage entre particuliers, lancés à par des habitants. « Il y a déjà 5 initiatives bien structurées. On permet aux groupes de se rencontrer et de partager leurs expériences, leurs recommandations… Dans la Drôme, il y a des besoins ! Même si nos taux d’équipement sont supérieurs à ceux des milieux urbains », remarque-t-elle. En effet, en France, 80 % des ménages possèdent au moins un véhicule et dans la Drôme, qui est un département rural, la moyenne s’établit à 88 %. « La moyenne nationale des ménages qui possèdent 2 voitures ou plus est de 34,7 %. Chez nous, elle est de 41 % : c’est sur cette tranche-là que l’autopartage peut être un levier. On peut éviter aux ménages d’avoir une seconde voiture, et à ceux qui en ont une de la mettre à disposition de ceux qui en ont besoin », estime Maryline Chasles.

L’intérêt et la demande pour l'autopartage entre proches sont bien là, mais le cadre manque encore cruellement… Et pour répondre à des besoins de sécurité, d’organisation et d’assurance notamment, des solutions sont en train d’émerger.

Assurer le partage en quelques minutes avec Cartage

Pour répondre aux problématiques d'assurance que soulève l'autopartage entre proches, deux anciens étudiants de l’école des Mines de Paris ont cofondé la jeune pousse Cartage. « Après avoir étudié le terrain, on s’est rendu compte que le frein principal, que ce soit pour le propriétaire du véhicule ou pour l’emprunteur, est celui de l’assurance », explique Oscar Bourgeois, cofondateur de Cartage. « On a donc construit le premier produit d’assurance d’autopartage, qui est commercialisé depuis juillet 2023 », poursuit-il. Concrètement, Cartage propose une assurance digitale à 5€ par jour, qui permet d'emprunter sereinement la voiture d’un proche en quelques clics. « Notre solution vient encadrer la pratique : en cas d’accident, on rembourse tout ce qui reste à la charge du propriétaire », précise Oscar Bourgeois. Depuis son lancement, Cartage a assuré une centaine de journées de location. « D’ici fin 2024, on aimerait atteindre les 100 000 emprunts assurés », espère le cofondateur de la solution. Pour cela, Cartage compte développer des partenariats avec les collectivités territoriales, qui viendraient subventionner cet usage pour les citoyens et ainsi encourager l’autopartage. « Avec cette pratique, on répond à une problématique environnementale, en optimisant le parc de voitures et en promouvant le partage versus l’achat ou la location. Notre parti pris est de traiter ce sujet d’un point de vue social : notre vision de l'autopartage se base sur la confiance plutôt que sur le fait de gagner de l’argent. Nous ne voulons pas être un nouveau Getaround ou Ouicar, ce n’est pas notre cible », conclut-il.

Le <a href="https://www.cartage.club/">site de Cartage</a> permet de souscrire en quelques clics un contrat d'assurance à la journée pour emprunter la voiture d'un proche.
Le site de Cartage permet de souscrire en quelques clics un contrat d'assurance à la journée pour emprunter la voiture d'un proche.

Coloc’Auto facilite la logistique au sein de la communauté de partage

En partant du même constat, Clara Beaumont et Milan Guérin ont développé Coloc’Auto, avec la volonté de mettre des outils d’aide et de soutien à disposition des cercles qui souhaitent partager une voiture. « On fournit gratuitement des outils à des collectifs pour qu’ils puissent partager des voitures simplement : de quoi assurer les interactions du groupe, un planning, une organisation des dépenses et des comptes, des outils de méthodologie, une solution sur le volet assurantiel en partenariat avec la Macif… », détaille Clara Beaumont. En avril 2023, Coloc’Auto a mené une première expérimentation auprès de collectifs volontaires. « Pour cette expérimentation, nous nous sommes concentrés volontairement sur les milieux ruraux et peu denses. C’est un défi, mais on voulait tester le potentiel de l’autopartage dans les lieux où il n’y a pas suffisamment d’infrastructures de transports », explique la cofondatrice de Coloc’Auto. Cette expérimentation a rassemblé 44 participants (répartis sur 10 groupes), qui ont réalisé 225 emprunts avec 22 voitures en partage sur une durée de 6 mois. « On a vu que ça fonctionnait ! Et surtout, qu’il faut s’adapter aux besoins de chaque communauté. Certains groupes ont besoin d’être rassurés, d’avoir des outils, des règles, des chartes… Quand d’autres veulent que ce soit le moins possible formalisé. » À terme, Coloc’Auto souhaite développer une plateforme en ligne où chacun pourra créer son groupe et la fiche du ou des véhicules en partage. « Notre objectif est de continuer à créer des outils et des ressources, mais surtout d’ouvrir le service à des gens qui ne sont pas forcément sensibilisés. Pour l’instant, nous attirons des groupes de personnes qui ont déjà remis en question leur rapport à la voiture individuelle », souligne néanmoins Clara Beaumont.

Visuel de la solution Coloc'Auto pour l'autopartage en communauté.
Visuel de la solution Coloc'Auto pour l'autopartage en communauté.

La voiture est encore considérée comme un objet de fierté et de réussite sociale. Il faut réussir à la regarder comme un objet partageable.

Maryline Chasles,
chargée de mission mobilité pour Dromolib

La voiture comme support de sociabilité avec SuriMove

Repenser le rapport à la voiture, c’est le grand enjeu qu’identifie également Maryline Chasles. « La voiture est aujourd’hui encore considérée comme un objet de fierté et de réussite sociale. Il faut réussir à revoir ce rapport-là et à la regarder comme un objet partageable », estime-t-elle. Ce qu’essaient de faire Samuel Lecuyer et Maxime Pothelune – pour l’instant dans un milieu urbain au Mans – avec SuriMove, en développant des communautés de quartier autour du parc de véhicules existants. « L’objectif est de mutualiser les véhicules d’un même quartier, entre voisins et de créer une dynamique collective. On est convaincus que dans les villes, les gens habitent ensemble mais ne se connaissent pas. On veut que la voiture devienne un support de sociabilité », explique Samuel Lecuyer. SuriMove, qui n’est qu’au début de son développement, fonctionne via un abonnement mensuel de 20 €.

« On constitue un dossier et on aide la personne inscrite à rencontrer des gens qui pourraient louer sa voiture, ou à qui louer une voiture. On crée ensuite un SuriGroupe, accompagné par un SuriManager, qui est un conseiller de mobilité. La promesse qu’on veut tenir à terme, c’est que le véhicule soit à 5 minutes à pied du domicile des adhérents », explique le cofondateur. « Un groupe de 4 adhérents commence déjà à vivre au Mans, et si on atteint les 20 adhérents d’ici à la fin de l’année, ce sera super ! » estime-t-il. Au-delà de former des groupes, la solution de SuriMove propose des contrats types et des formules de location, assurance comprise. « Pour nous mais aussi pour les assurances, le plus important est qu’il y ait des récurrences dans les locations : quand ce n’est pas une location en "one shot" et qu’on connaît le propriétaire de la voiture, on fait plus attention », remarque Samuel Lecuyer. À terme, les cofondateurs aimeraient transposer leur solution sur une application mobile pour fluidifier les réservations et les échanges et, pourquoi pas, imaginer des partages de voiture entre différentes communautés SuriMove partout en France.

Chacune de ces solutions propose sa propre approche pour répondre aux contraintes de l’autopartage : boîte à outils, assurance, animation de communauté ou encore formules de location… Mais toutes partagent l’objectif de réduire le nombre de voitures en circulation en mutualisant leur usage, et donc de démocratiser et sécuriser l’autopartage entre proches.