Covoiturage, autopartage… pourquoi ça ne décolle pas ?

Aujourd’hui, 70 % des déplacements domicile-travail sont réalisés en véhicule individuel, la plupart en autosolisme (sans aucun passager), et on estime à 3 % la part du covoiturage dans ces déplacements quotidiens. Comment expliquer le faible intérêt pour cette pratique, pourtant vertueuse pour le pouvoir d’achat et pour l’environnement ? Nous avons posé la question à Yoann Demoli, maître de conférences en sociologie à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ).

Florence Martin, rédactrice en chef du média Roole
Florence Martin

Le covoiturage se développe-t-il ?

Yoann Demoli : En réalité, on n'a jamais aussi peu covoituré qu'aujourd'hui. Depuis qu'on le mesure le covoiturage, il est de plus en plus faible, de façon très paradoxale et de façon très contre-intuitive. En réalité, il faut différencier covoiturage formel et covoiturage informel. Aujourd'hui, un grand opérateur français promeut le covoiturage de longue distance et on a l'impression que c'est nouveau. Or c'est un outil formel, intermédié, c’est-à-dire qu'on covoiture avec des inconnus. Mais il y a une façon beaucoup plus naturelle et spontanée de covoiturer, c'est de covoiturer avec ses proches. C'est ce qu'on appelle le covoiturage informel. Or le covoiturage informel est de plus en plus bas depuis qu'on le mesure, c’est-à-dire depuis les années 70.

Alors pourquoi y a-t-il de moins en moins de covoiturage informel ? Pourquoi prend-on de moins en moins de proches dans sa voiture ? Tout simplement parce que ses proches ont une voiture, parce que ses proches ont un permis, parce qu'on habite et on travaille dans des lieux différents. J'habite dans le même lieu que ma conjointe/mon conjoint mais je ne vais pas nécessairement travailler au même endroit (ce qui était plus répandu auparavant). C'est la raison pour laquelle le covoiturage est - étrangement - plutôt une solution du passé.

La voiture est là pour m’emmener d'un point A à un point B, sans arrêt ou avec des arrêts que je décide, dans un timing serré. Le covoiturage dessert cela.

Le problème du covoiturage, c'est qui il apporte des risques qui sont beaucoup moins importants lorsque je suis seul dans ma voiture. Quand je suis seul dans ma voiture, je peux avoir du retard mais je suis moi-même responsable de mon retard. Je peux faire un petit crochet pour aller dans un magasin ou faire une démarche. Avec un covoitureur, je ne m'autoriserai pas à le laisser patienter dans la voiture 5 ou 10 minutes, alors qu’il a certainement lui aussi des objectifs à remplir. C'est pour cela que le covoiturage, c'est finalement une chaussure mal adaptée à un problème qui est résolu par la voiture.

La voiture est là pour m’emmener d'un point A à un point B, sans arrêt ou avec des arrêts que je décide, dans un timing serré. Le covoiturage dessert cela. On rajoute des points à nos points A et B, et on rajoute des problèmes temporels, des retards, des successions d'évènements potentiellement complexes.

Qu’en est-il du covoiturage longue distance ?

Y. D. : En revanche, le co-voiturage longue distance est un phénomène sur lequel on peut parier. Ce n’est pas pour rien que Blablacar y parvient, dans un contexte de renchérissement des transports alternatifs à la voiture. Lorsqu'un billet de TGV Paris-Nantes coûte plus de 150 €, un covoiturage est vraiment beaucoup moins coûteux, même s'il est plus long.

Lorsque je vais à Nantes, mon but est d’arriver, peu m'importe d’arriver à Rezé ou au centre de la place Graslin.

Et à vrai dire, la mobilité longue distance est beaucoup moins tenue à des engagements temporels et encore moins à des engagements spatiaux. Lorsque je vais à Nantes, mon but est d’arriver, peu m'importe d’arriver à Rezé ou au centre de la place Graslin. Et peu importe si j'arrive à Nantes à 14h ou 15h en mobilité longue distance. Ce qui fait que le covoiturage de longue distance a du sens.

Et l’autopartage ?

Y. D. : L'autopartage, de la même façon que le covoiturage, occupe une part pour l'instant très faible dans la mobilité quotidienne des Français. On connaît la destinée d'Autolib, qui a été qui a été difficile. En réalité, comment les Parisiens où les habitants des périphéries utilisaient-ils ce service d’autopartage ? Et bien on prenait une Autolib pour aller faire quelques courses à Ikea (bien sûr on ne prenait pas le matelas king size dans l'Autolib) mais les utilisateurs étaient des ménages qui n'avait déjà pas de voiture. En quelque sorte, on rajoute de la mobilité automobile où il n’y en a pas.

Sur l'autopartage il y a aussi un autre phénomène : c'est une forme d'individualisation de la voiture. La voiture, c'est quand même "sa" voiture. Cela se lit dans des expressions de la vie quotidienne : « je me suis garé là » alors que c'est pas moi qui me gare - c’est une synecdoque ! En réalité : je gare ma voiture. L'idée que la voiture est un peu un prolongement de soi, c'est important. La comparaison a ses limites mais on a du mal à partager son frigo. Par exemple, dans les colocations, il y a parfois des étages et chacun a son étage. De la même façon, je crois qu'on a du mal à partager sa voiture, qui est un lieu personnel, un lieu de prolongement de son domicile.