L’amaxophobie : cette peur dont on parle peu mais qui touche beaucoup d’automobilistes
Ils ont le permis, mais n’osent plus conduire. Encore peu connue, l’amaxophobie — ou la peur de conduire — touche des milliers d’automobilistes, tous profils confondus. Cette anxiété chronique complique le quotidien, isole et prive d’autonomie ceux qui en souffrent. À Paris, Clotilde et Benjamin ont longtemps vécu avec cette phobie, avant de participer à un stage d’accompagnement personnalisé, qui leur a permis de reprendre confiance en eux, volant en main.

Le cœur qui s’emballe, les mains qui deviennent moites, des pensées négatives qui tournent en boucle… Clotilde était confrontée à ces symptômes à chaque fois qu’elle devait prendre le volant. « J’imaginais toujours le pire, se souvient-elle. J’étais tétanisée. Je craignais d’avoir un accident alors que je n’en ai jamais eu. Rien que l’idée de m’asseoir derrière un volant me mettait dans un état de stress immense. » Sans en avoir conscience, Clotilde souffrait d’amaxophobie.
Titulaire du permis depuis sa majorité, Clotilde a vécu plusieurs années à Paris sans jamais conduire, préférant les transports en commun, une solution pratique qui lui convenait parfaitement. Jusqu’au jour où... C’est lors d’un voyage à Ténérife, en Espagne, que le déclic s’est produit. « Le réseau de bus était plutôt bon, mais certains endroits que je voulais découvrir n’étaient pas desservis. Je me suis dit que c’était vraiment dommage et que je serais bien plus libre si je conduisais. Je n’aurais pas à dépendre des horaires de bus et pourrais explorer l’île comme bon me semble. »
Une phobie peu connue et pourtant répandue
L’amaxophobie, ou la peur de conduire, toucherait près d’un quart des automobilistes de l’Hexagone. Selon l’étude « Prévalence de l’anxiété de la conduite et impact sur les capacités attentionnelles en conduite », menée par l’Université Gustave Eiffel pour la Sécurité Routière en 2021, 79 % des Français sont plus ou moins affectés par la peur de conduire. Parmi eux, 15,6 % considèrent que cette anxiété est un vrai handicap. C’est le cas de Benjamin qui, après avoir décroché son permis B, a laissé son véhicule au garage durant trois ans. « Je n’ai jamais été à l’aise au volant, et plus le temps passait, plus l’idée de reprendre ma voiture me paniquait, confie-t-il. J’avais l’impression de mal estimer les distances, de ne pas réussir à m’insérer correctement dans la circulation. Ma plus grande peur, c’était de provoquer un accident. »
Bien que ce trouble anxieux ne soit pas officiellement reconnu comme une pathologie dans la classification internationale des maladies, il est bien réel et peut avoir de lourdes conséquences sur la vie quotidienne de ceux qui en souffrent. « Certains renoncent à une opportunité professionnelle, à des voyages ou même à des projets familiaux », souligne Kévin Walter, psychologue clinicien. Pour éviter l’angoisse que leur cause la conduite, les personnes amaxophobes choisissent de ne plus prendre le volant, quitte à organiser différemment leur quotidien, parfois au détriment de leur propre sécurité. « Personnellement, je ne bois pas d’alcool, mais en soirée, je devais compter sur des gens qui avaient parfois un peu bu pour me ramener chez moi. Je me mettais en danger à cause de ma peur de conduire », avoue Clotilde.
L’amaxophobie peut parfois cacher une peur plus profonde. « Les personnes concernées peuvent craindre de ne pas trouver leur place sur la route — et donc, symboliquement, de ne pas trouver leur place parmi les autres, poursuit Kévin Walter. Et contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas uniquement les retraités qui en souffrent. Les actifs, pour qui la conduite est une nécessité dans leur vie professionnelle, sont également touchés. » Ainsi, l’amaxophobie ne se résume pas à la peur de la voiture, elle touche à des choses plus profondes comme l’autonomie, voire à la place que chacun occupe dans la société. « Conduire sa voiture, c’est un peu comme conduire sa vie », affirme le psychologue.
« La peur de conduire n’est pas une maladie. »
Sylvie Kachoua,
Fondatrice de la Conduite Évolutive.
Même si la parole se libère sur les questions de santé mentale, l’amaxophobie reste une phobie méconnue et mal comprise. « Ce sujet est encore tabou. Très souvent, les personnes qui ont peur de conduire ne sont ni entendues, ni comprises par leur entourage », souligne Sylvie Kachoua, fondatrice de la Conduite Évolutive.
Heureusement, il existe des solutions pour lutter contre cette phobie, comme des groupes de parole, par exemple. En septembre 2024, Benjamin, lassé de dépendre des autres pour se déplacer — notamment pour rendre visite à sa famille en province — a franchi le pas. Il s’est inscrit à un stage d’une journée proposé par l’auto-école CER Bobillot, à Paris. Au programme : un accompagnement mêlant discussions en groupe, exercices sur simulateur et sessions de conduite, encadré par un moniteur et un psychologue. « J’avais besoin de reprendre confiance, d’arrêter de me voir comme un ‘sous-conducteur’, raconte-t-il. Ce bilan m’a permis d’y voir plus clair et de repartir avec des conseils concrets. »
Clotilde, elle aussi, a trouvé le courage de reprendre le volant, à son rythme. C’est aux côtés de Sylvie Kachoua, fondatrice de la Conduite Évolutive, qu’elle a repris confiance en elle via des sessions de coaching et des leçons de conduite personnalisées. « Ce que j’ai apprécié avec Sylvie, c’est qu’elle prend le temps de nous accompagner. J’en avais besoin, pour retrouver certains réflexes et en acquérir de nouveaux. Elle est apaisante, à l’écoute. Avant la conduite, elle discute avec nous pour dédramatiser la séance. J’avais besoin de quelqu’un de calme, de rassurant, et c’est exactement ce qu’elle est. »
« La voiture est une salle de sport »
Reprendre le volant, après une longue période d’arrêt, en surmontant ses craintes, ne se fait pas du jour au lendemain. Comme pour une activité physique, il faut du temps, de la rigueur, et surtout accepter de ne pas tout réussir du premier coup. La conduite fait appel à des réflexes, exige de la concentration, de l’anticipation, autant de compétences qui s'entretiennent. « La voiture, c’est un peu comme une salle de sport, poursuit la formatrice. On avance avec un objectif, étape par étape. Ce sont tous les petits ajustements qui font la précision. »
Commettre des erreurs fait aussi partie du processus. Ce qui compte, c’est d’apprendre à les reconnaître, à les corriger. « Beaucoup de personnes qui participent à ces stages se sentent illégitimes, comme frappés par le syndrome de l’imposteur, alors qu'elles conduisent très bien en réalité, conclut Kévin Walter. Ce sont souvent des perfectionnistes, de trop bons élèves qui n’acceptent pas de faire des erreurs au volant. Or, tout le monde peut en faire. L’important, c’est que ces erreurs ne soient pas graves… et surtout, de savoir les gérer. »
Après la pluie, vient l’envie… de conduire
Aujourd’hui, Clotilde et Benjamin ont renoué avec une autonomie qu’ils pensaient hors de portée. Grâce à un accompagnement adapté, ils ont apprivoisé leurs peurs. Après avoir acheté une nouvelle voiture, Clotilde s’est lancée il y a quelques semaines dans une escapade en Dordogne. « Ça a été le baptême du feu… mais tout s’est bien passé malgré la pluie, la grêle et le brouillard », plaisante-t-elle aujourd’hui.
De son côté, après sa formation au CER Bobillot, Benjamin a poursuivi son parcours : quelques cours de conduite supplémentaires, puis des trajets courts en autonomie autour de chez lui. Petit à petit, la confiance est revenue. Il conduit désormais seul jusqu’à son travail, et n’hésite plus à faire régulièrement plusieurs heures de route pour aller voir sa grand-mère. « Je pense avoir atteint mes objectifs », résume-t-il avec fierté.
En action
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En région, rapprochez-vous de votre mairie ou de votre auto-école : certaines proposent des dispositifs similaires, parfois en lien avec des professionnels de santé.