La France est à la traîne en matière de covoiturage : vrai ou faux ?

Avec seulement 3% de trajets du quotidien covoiturés, la France ne peut pas encore se targuer d’avoir fait entrer le covoiturage dans les habitudes des Français en matière de mobilité. L’Hexagone n’est pas pour autant en retard par rapport à ses voisins européens ! On fait le point sur ce qui fait la force du modèle français.

Eva Gomez journaliste pour le média Roole
Eva Gomez

En France, on aime la bagnole ! Souvent essentielle, la voiture est aussi synonyme de liberté, et dans une majorité de cas, c'est un mode de transport que l’on prend seul. En effet, près de 84% des conducteurs sont seuls dans leur voiture le matin aux heures de pointe* et en France, le taux d’occupation moyen est de 1,4 personne par voiture au quotidien… Pour tenter de réduire cette tendance et d’encourager les usages partagés de la voiture, le Gouvernement français a notamment lancé fin 2022 une « prime covoiturage » de 100 euros, qui a convaincu 200 000 nouveaux covoitureurs en 2023. Malgré tout, d’après le ministère de la transition écologique, seuls 3% des trajets du quotidien sont effectués en covoiturage. Cela pourrait sonner comme un échec. Pourtant, Thomas Matagne, président fondateur de l’opérateur de lignes de covoiturage Ecov, assure que « la France est à la pointe sur le covoiturage », en particulier en termes de politiques publiques. « C’est encore embryonnaire et très largement insuffisant, mais (…) que le gouvernement et certaines collectivités aient commencé à prendre en main substantiellement la question du taux d’occupation et donc du covoiturage, n’a pas d’équivalent à notre connaissance dans le monde », souligne-t-il.

On a des délégations qui viennent de l’étranger pour voir ce qui est fait en France.

Thomas Matagne,
président fondateur d’Ecov.

Les territoires : acteurs de premier plan

En décembre 2022, l’Etat français a lancé son « plan national covoiturage du quotidien », qui a pour objectif d’atteindre les 3 millions de trajets covoiturés par jour à horizon 2027. Un investissement de 150 millions d’euros pour financer la prime covoiturage et soutenir les collectivités pour le développement d’aires de covoiturage, de lignes de covoiturage et de voies dédiées au covoiturage sur les routes. Un an après le lancement de ce plan, le gouvernement s’est félicité d’avoir multiplié par deux le nombre de trajets quotidiens covoiturés sur des plateformes, en passant de 20 000 à 40 000, et d’avoir cofinancé 21 lignes de covoiturage et 93 aires de covoiturage. En 2024, la prime de 100 euros pour les nouveaux covoitureurs a été prolongée pour les trajets de courte-distance (moins de 80 km). Et la France travaille également au développement des SERM – Services express régionaux métropolitains – qui seront, à terme, des services de transport multimodaux dans les territoires péri-urbains et ruraux. Les lignes de covoiturage feront partie de l’éventail des offres développées dans le cadre de ces SERM. « On a des délégations qui viennent de l’étranger pour voir ce qui est fait en France sur ces sujets-là », affirme Thomas Matagne. « Malheureusement, on en est vraiment qu’au tout début et les ordres de grandeur ne sont pas du tout à l’échelle », nuance-t-il néanmoins.

Bon à savoir

Pour définir le fait d’être seul dans sa voiture, on emploie le terme d’autosolisme. On y trouve « auto » et « solisme », qui renvoient à une pratique solitaire de la conduite d’une automobile.

Des tests sur les voies réservées

Malgré la volonté politique, qui s'affirme progressivement, le covoiturage n’est pas encore suffisamment mis en avant comme une solution de mobilité à privilégier. « On est à la traîne sur un certain nombre de choses, notamment autour des infrastructures », estime le président fondateur d’Ecov. « Dans d’autres pays, en Amérique du Nord par exemple, mais aussi en Asie, il y a un travail très fort qui a été fait notamment autour des voies réservées au covoiturage », poursuit-il.

En France, fin 2023, 52 km de voies réservées au covoiturage étaient déployées, à Rennes, Grenoble, Nantes, Lille, Lyon et Strasbourg. A Paris, la voie de gauche du périphérique sera réservée au covoiturage et aux transports en commun dès la fin des Jeux Olympiques de 2024, pendant lesquels elle sera réservée aux athlètes, secours et officiels. Pour l’instant, ces aménagements sont en phase d’expérimentation, mais les premiers retours d’expérience sont encourageants : à Grenoble sur les 8 km de voies réservées de l’A48, le taux de covoiturage a augmenté de 7% entre 2017 et 2022 et le temps de parcours est diminué d’une minute (sur un temps de trajet de 5 minutes). A Annecy, les gains de temps observés ont pu atteindre 7 minutes sur l’itinéraire RD 1508-3508 nord**.

Un tissu d’acteurs dynamiques

Et pour encourager le développement de ces infrastructures et continuer à structurer un système qui facilite le covoiturage, la France peut compter sur un vivier d’acteurs économiques dynamiques. « On a beaucoup d’opérateurs : Blablacar, qui est très connu, mais aussi Mobicoop, la Roue Verte, Klaxit, Karos, ou Ecov, qui sont là pour proposer des offres (…) qui n’ont pas d’équivalent ailleurs dans le monde. On est vraiment à la pointe d’un point de vue construction d’offre », estime Thomas Matagne. On peut également citer Ynstant, une application de covoiturage pour les trajets du quotidien, et de nombreuses applications pour le covoiturage local, lancées par les collectivités. C’est le cas par exemple de Pass Pass Covoiturage dans les Hauts-de-France, Mobigo en Bourgogne-Franche-Comté, OnCovoit’ sur le territoire Cœur de Savoie, ou encore Mobil’Aude dans l’Aude.

D’autres pays comme le Royaume-Uni font également partie des précurseurs en matière d'opérateurs de covoiturage : le leader britannique Liftshare par exemple, créé en 1998, a fêté ses 25 ans en 2023. Mais la France a l’avantage de jouir d’une diversité d’acteurs, dont certains se sont exportés, à l’image de Blablacar, qui compte 35 millions de membres dans 22 pays. Et c’est aussi en France qu’est né le réseau de covoiturage communautaire Europe Carpooling, pour partager les voyages transfrontaliers.

En résumé, la route est encore longue pour que le covoiturage s’impose dans la mobilité des Français, mais la trajectoire est solidement amorcée et l’Hexagone semble d’ores-et-déjà faire figure d’exemple à l’étranger.

*Baromètre de l’autosolisme de Vinci Autoroutes, janvier 2024.

**Données du Cerema récoltées lors de la journée nationale des gestionnaires de voies réservées au covoiturage, le 19 mars 2024.