Faut-il interdire les voitures puissantes aux jeunes conducteurs ?
Le décès tragique d’une jeune femme à Lille, percutée par un conducteur novice au volant d’un véhicule surpuissant, a relancé le débat sur l’accès des jeunes automobilistes aux voitures les plus puissantes. En réaction, une proposition de loi a été déposée pour restreindre leur utilisation aux conducteurs en période probatoire. Mais le lien entre puissance et accidentologie est-il avéré ? Quelles solutions pour diminuer le risque et renforcer la sécurité routière ? Décryptage.

Un accident routier relance le débat sur les jeunes conducteurs
Le 8 février 2025 à Lille, une jeune femme de 23 ans a perdu la vie, percutée par un conducteur de 18 ans au volant d’une Volkswagen Golf R de 333 chevaux de location. Le jeune automobiliste roulait à 100 km/h dans une zone limitée à 30 km/h, en plein centre-ville. Franck Gherbi, maire d’Hellemmes, une commune voisine de Lille, a interpellé la sénatrice socialiste Audrey Linkenheld afin de renforcer la réglementation sur ce sujet.
Le 11 février 2025, la sénatrice a ainsi déposé une proposition de loi visant à interdire aux jeunes conducteurs l'usage de véhicules jugés trop puissants. L’objectif est clair : limiter l’accès aux voitures surpuissantes aux automobilistes encore en période probatoire, qui n’ont pas acquis l’expérience nécessaire pour en maîtriser pleinement les performances. Cette interdiction concernerait la vente, la cession et la location de véhicules.
Les 18-24 ans : une population à risque sur les routes
Les jeunes conducteurs en période probatoire sont moins expérimentés et souvent plus enclins à prendre des risques sur la route. Selon le baromètre 2024 de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR), les 18-24 ans restent la tranche d’âge la plus à risque d’être tués ou blessés gravement sur les routes (deux fois plus que la moyenne). En 2024, 531 jeunes adultes ont perdu la vie (+34 par rapport à 2023) et 2 800 ont été gravement blessés. « Les jeunes conducteurs sont plus vulnérables en raison de leur mode de vie et de leur inexpérience, explique Christophe Ramond, Directeur des études de l’association Prévention Routière. Leur profil de risque est plus élevé, en particulier chez les jeunes hommes. Parmi les principales causes d’accidents figurent le non-respect des limitations de vitesse, des règles de signalisation et des priorités, ainsi que la consommation d’alcool et de drogues. »
« Les jeunes automobilistes présentent un risque d’accident plus élevé que les conducteurs expérimentés, avec 25 % de probabilité supplémentaire d’être impliqués dans un ou plusieurs sinistres au cours de leurs premières années de conduite », nous rappelle Olivier Moustacakis, cofondateur d’Assurland.com*. Dans ce contexte, les compagnies d’assurances se montrent réticentes à couvrir les jeunes conducteurs sur de grosses cylindrées et appliquent souvent une surprime. De manière générale, la puissance fiscale du véhicule influence le montant de la prime annuelle de l’assurance ainsi que le prix du certificat d’immatriculation.
Bon à savoir
Cette surprime s’applique de manière dégressive selon les parcours d’apprentissage à la conduite : 100 % la première année, 50 % la deuxième et 25 % la troisième. Pour les conducteurs ayant suivi une formation en conduite accompagnée, la majoration est réduite de moitié, soit 50 % la première année, 25 % la deuxième et 12,5 % la troisième.
Quelle corrélation entre puissance et accidents ?
Une récente analyse de carVertical*, basée sur des rapports d’historique de véhicule de 43 marques automobiles, met en évidence une corrélation entre la puissance des moteurs et le risque d’accident. Par exemple, chez Volkswagen, 42,6 % des véhicules avec un moteur de moins de 136 chevaux ont été endommagés, contre 48,9 % pour ceux équipés d’un moteur de 407 à 544 chevaux. Même tendance chez BMW, avec un taux passant de 60,3 % pour les moteurs de moins de 134 chevaux à 68,6 % pour ceux dépassant 544 chevaux. D'autres marques, comme Renault, Peugeot ou Citroën, présentent des écarts moins marqués, mais toujours défavorables aux véhicules plus puissants.
Cependant, la puissance du moteur n’est pas le seul facteur en cause. « Il est essentiel de prendre en compte d’autres critères, comme l’accélération d’un véhicule et le rapport poids/puissance, précise Moundyr Gainou, directeur France de carVertical. Une voiture de 150 chevaux n’aura pas le même comportement selon qu’elle pèse 600 kilos ou 2,5 tonnes. C’est la combinaison de ces éléments qui influence réellement la maîtrise du véhicule et son niveau de dangerosité. »
Si la puissance d’un véhicule joue un rôle, c’est avant tout la capacité du conducteur à en garder le contrôle qui est déterminante. « Confier un véhicule très puissant à un conducteur qui conduit habituellement une voiture de 100 chevaux peut être tout aussi risqué, même s’il est expérimenté, souligne Moundyr Gainou. Comme un jeune conducteur, il peut aussi manquer d’expérience pour maîtriser pleinement les performances. » Le profil du conducteur joue également un rôle crucial dans la prise de risques sur la route. « Les véhicules puissants attirent un certain profil de conducteurs, ajoute Christophe Ramond. Ces conducteurs peuvent prendre des risques, pas uniquement au volant de voitures puissantes, mais aussi avec des véhicules plus classiques. »
D’où la nécessité d’agir sur plusieurs fronts selon Olivier Moustacakis. « Pour réduire les accidents chez les jeunes, il faut avant tout lutter contre l’alcool et les stupéfiants au volant en renforçant les contrôles routiers, affirme-t-il. Une autre piste pourrait être la mise en place d’un permis intermédiaire, comme cela existe déjà pour les motards. »
Permis intermédiaire, stage de pilotage… Des alternatives possibles !
En France, les jeunes motards titulaires du permis A2 sont soumis à une limitation de puissance de 47,5 chevaux pendant leurs deux premières années de conduite. Ce dispositif leur permet d’acquérir de l’expérience sur des motos moins puissantes avant d’accéder à des modèles plus performants. Après cette période probatoire, les conducteurs peuvent suivre une formation complémentaire pour obtenir le permis A, qui leur donne l’accès aux motos de toutes cylindrées et puissances.
La proposition de la sénatrice Audrey Linkenheld, inspirée du permis A2, ne fait pas l’unanimité parmi les experts. Certains considèrent qu’elle n’est pas tout à fait adaptée aux automobilistes. « Cette mesure est plus restrictive que préventive, estime Olivier Moustacakis. Contrairement au permis A2, qui prépare les motards à piloter des motos plus puissantes lors d’une phase d’apprentissage, ce projet de loi vise purement et simplement à interdire l’accès à certains véhicules. » Même son de cloche du côté de Moundyr Gainou, Directeur France de carVertical qui suggère une alternative à l’interdiction de la vente des véhicules puissants aux jeunes conducteurs : les stages de pilotage. « Ces formations, organisées sur de petits circuits et dans des conditions spécifiques, comme un sol mouillé, permettraient aux conducteurs d’acquérir une meilleure maîtrise de l’accélération, des distances de freinage et la tenue de route. Certains assureurs financent déjà ce type de formation, et leur généralisation pourrait contribuer à réduire les risques sur la route. »
*Assurland.com est courtier en assurance depuis plus de 40 ans.
*CarVertical est une société de rapports sur l'historique des véhicules qui opère dans 30 pays.