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Création d’un « homicide routier » : qu’est-ce que ça change ?

Par Eva Gomez

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Le lundi 17 juillet 2023, la Première Ministre Elisabeth Borne a annoncé que l’actuel homicide involontaire serait requalifié en « homicide routier » en 2024. Nous avons demandé à Jordan Gibert, avocat au Barreau du Val d’Oise expert du droit routier, quelles conséquences attendre de ce changement d'appellation sur le plan juridique.

Des fleurs installées au bord d'une route après un accident mortel

Ces derniers mois en France, plusieurs accidents de la route ayant causé la mort d’une ou plusieurs personnes ont été largement médiatisés. On pense à l'accident qui a emporté le fils du chef chef étoilé Yannick Alléno, renversé par un chauffard en mai 2022, ou plus récemment, en février 2023, l’accident mortel causé par le comédien Pierre Palmade sous l’emprise de stupéfiants. Ces drames ont fait couler beaucoup d’encre et entendre la voix d’associations de proches de victimes d’accidents de la route. Leur souhait ? Que des mesures fortes soient prises pour que ces événements ne soient plus considérés comme étant « involontaires » de la part de la personne mise en cause. Pour répondre à la demande des familles de victimes pour qui le mot « involontaire » devenait inacceptable, le gouvernement a annoncé la création du terme « homicide routier », qui se substitue à la notion d'homicide involontaire. L’avocat Jordan Gibert nous explique ce que cette requalification signifie.

Pourquoi requalifier l'homicide involontaire en homicide routier ?

Jordan Gibert : Les "blessures involontaires" et "homicides involontaires" sont des blessures ou homicides que l’on n’a pas voulu causer, tout en commettant une faute préalable qui les a engendrés. Ces fautes préalables peuvent être un excès de vitesse, une consommation d'alcool, un dépassement de ligne continue… En mai dernier, devant l’Assemblée Nationale, le ministre de l’Intérieur a évoqué la notion d’homicide routier et a déclaré qu’il faudrait envisager sa création, notamment en réaction à l’actualité après l’accident causé par Pierre Palmade.

Je vais être très clair : l’homicide routier sera exactement l’actuel homicide involontaire.

Jordan Gibert,
avocat expert du droit routier.

Le terme « involontaire » est considéré par les associations de victimes et proches de victimes comme méprisant. Mais nous, avocats et juristes, nous sommes posé beaucoup de questions : que veut vraiment dire "homicide routier" ? Est-ce que cela devient un homicide volontaire et donc un meurtre ? Cela veut-il dire que si un conducteur franchit une ligne continue et entraîne la mort d’une personne, on considérera qu’il a voulu la faute et donc la mort ? Cela paraissait gros mais on ne savait pas ce qui allait se passer !

Finalement, qu'est-ce que la création de l'homicide routier va changer ?

Jordan Gibert : La conférence de presse qui s'est tenue le 17 juillet dernier à l’issue du comité interministériel sur la sécurité routière a répondu à toutes les questions qu’on se posait et finalement, nos craintes étaient infondées. Je vais être très clair : l’homicide routier sera exactement l’actuel homicide involontaire. Les sanctions ne vont pas changer, le délit ne va pas changer. C’est seulement un changement sémantique. Et j’aurais tendance à dire, en tant qu’avocat, que c'est tant mieux ! Car le droit routier est déjà extrêmement sévère et nous avons craint que cette terminologie entraîne une aggravation des sanctions.

Le remplacement du terme « involontaire » par « routier » sera-t-il valable pour d'autres fautes que la consommation d'alcool ou de drogue ?

Jordan Gibert : Nous y verrons plus clair lorsque les projets de loi seront portés à notre connaissance mais en l’état actuel des choses, cela ne se limiterait pas aux cas où le conducteur fautif aurait bu de l’alcool ou serait sous l’emprise de stupéfiants. Aujourd’hui, on peut être poursuivi et condamné pour avoir entraîné la mort de quelqu’un sans l’avoir voulu, pour une faute préalable de différentes natures : cela peut être un comportement dangereux, un manquement aux règles de sécurité routière… ça ne se limite pas à l’alcool et aux stupéfiants. Ce que je comprends, c’est que ce sera la même chose pour le futur homicide routier.

Quelles sont les sanctions et peines encourues ?

Jordan Gibert : Aujourd’hui en France, l’homicide involontaire est un délit passible de 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende. C’est la peine de base. Si ce délit est commis avec une circonstance aggravante, la peine peut aller jusqu’à 7 ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende. Si deux ou plusieurs circonstances aggravantes sont retenues, le conducteur risque jusqu’à 10 ans de prison et 150 000 euros d’amende. Attention : la faute préalable et la circonstance aggravante sont deux notions différentes, on ne peut pas les confondre. La faute préalable est ce qui constitue l'infraction, le comportement reproché par la loi pénale. La circonstance aggravante peut exister ou pas, et si elle existe, elle influe sur la peine encourue. Par exemple, si on tient une personne responsable de la mort de quelqu’un suite au franchissement d’une ligne continue, on ne peut pas retenir ce fait comme circonstance aggravante. Mais si en plus d’avoir franchi une ligne continue, le conducteur fautif a grillé tous les feux rouges, ce dernier comportement est une circonstance aggravante.

Est-ce souhaitable d'aller au-delà de la sémantique et de renforcer les sanctions comme le demandent les associations de victimes ?

Jordan Gibert : On ne peut pas mettre au même niveau une personne qui certes a commis une faute en roulant trop vite et qui, par une succession de circonstances, a renversé quelqu’un, et une personne qui poignarde délibérément quelqu'un. Il y a un problème de proportionnalité ! A mon sens, et c’est une réflexion à la frontière entre le droit et la politique, on crée beaucoup de lois en réaction à des phénomènes d’actualité. Mais ici par exemple, on ne change rien sauf la terminologie. Pour être efficace, il n’y a pas besoin de créer de nouvelles lois, il faudrait plutôt aller voir du côté de l’exécution des sanctions : il y a à peu près 20% des peines qui ne sont pas exécutées, donc pour les victimes, il serait d’abord judicieux de se pencher sur l’application des lois avant d’en créer de nouvelles.