Vehicle-to-grid : une nouvelle solution pour alimenter les maisons en énergie ?
Dans le Gard, une communauté énergétique en autoconsommation collective teste des solutions qui combinent la production d’énergie renouvelable et la mobilité électrique. La voiture électrique devient une batterie de stockage pour l’électricité solaire produite sur place. Cette électricité est ensuite, grâce à la technologie de vehicle-to-grid, réinjectée dans le réseau.
Dans le Gard, non loin d’Aigues-Mortes et de la Camargue, la petite ville du Cailar fait office de laboratoire en expérimentant des solutions qui mêlent les énergies renouvelables et la mobilité électrique. Depuis 2020, des habitants volontaires et la mairie ont constitué une communauté énergétique : ils produisent de l’électricité grâce à des panneaux solaires installés sur les maisons et sur le stade municipal, puis la consomment de façon équitable selon les besoins des uns et des autres. Cette idée est celle d’Amaury Pachurka, CEO fondateur de la société Sween, lui-même habitant du Cailar et membre de cette communauté énergétique. « Dès le départ, l’idée était de développer un projet expérimental, qui nous permette de tester toutes les combinaisons possibles de production et de consommation, sur des petits volumes », explique Amaury Pachurka. « On s’est entendu entre voisins et avec la mairie pour créer cette communauté, qui s’est agrandie au fur et à mesure et continue de s’agrandir. Au départ, on était 5 foyers et un bâtiment communal. Aujourd’hui, on a 21 membres producteurs et 23 consommateurs en tout », précise-t-il. Ce projet est devenu une association baptisée Smart Lou Quila, qui va bien au-delà d’une simple communauté énergétique en autoconsommation collective.
Stocker l’énergie pour plus de flexibilité
En plus des ressources de production – ici les panneaux solaires – le projet intègre des solutions de stockage de l’électricité produite. Il s’agit de batteries qui emmagasinent le surplus d’électricité, pour une utilisation par la communauté en fin de journée et la nuit, lorsqu’il n’y a plus de production solaire. « Il y a trois batteries dans la communauté, dont deux qui sont installées sur des sites de production (c’est-à-dire équipés de panneaux) : une chez un particulier et une au stade municipal », explique Tristan Pateloup, directeur technique chez Sween. « Ces batteries alimentent en priorité leur lieu de production : au stade par exemple, on privilégie le fait de décharger la batterie pour l’éclairage des événements sportifs la nuit », détaille-t-il. Ces batteries de stockage, qu’elles soient ou non installées sur un site de production – la troisième batterie de la communauté est installée chez un membre qui n'a pas de panneaux solaires – alimentent la communauté quand la production solaire faiblit.
La voiture électrique comme batterie de stockage
Et pour aller encore plus loin, Sween a voulu tester une technologie encore embryonnaire en France : le vehicle-to-grid (ou V2G, signifiant littéralement “de la voiture au réseau électrique” ). « Le concept, c’est de pouvoir décharger un véhicule électrique dans le réseau, comme si c’était une batterie stationnaire ou une unité de production, pour pouvoir transférer cette énergie à d’autres usagers », explique Amaury Pachurka. Ainsi, la batterie de voiture électrique, chargée de préférence en journée grâce à l’énergie solaire, devient une batterie de stockage, qui peut réinjecter dans le réseau électrique l’énergie non utilisée pour un usage de mobilité grâce à une borne bidirectionnelle.
La communauté Smart Lou Quila dispose pour l’instant d’un seul véhicule électrique compatible avec une borne bidirectionnelle permettant de charger et décharger la batterie. Pour l’heure, seul le format de prise CHAdeMO permet cette fonctionnalité, et ce n’est pas le plus répandu en Europe. « Aujourd’hui, on est limité car c’est le seul format de borne bidirectionnelle qu’on peut acheter et installer. Mais les nouveaux véhicules qui sont compatibles vehicle-to-grid ont des prises Combo CCS, donc on attend les nouvelles bornes bidirectionnelles en Combo CCS qui devraient bientôt sortir », espère Tristan Pateloup. Et chose inédite : Smart Lou Quila est pour l’instant la seule communauté énergétique en France à réinjecter l’énergie depuis une batterie de voiture électrique, de façon à être utilisée par toute la communauté et pas seulement par le seul propriétaire du véhicule. « On est les seuls à faire de la réinjection depuis le véhicule, pour alimenter d’autres compteurs d’une communauté énergétique en autoconsommation collective. Mais il existe déjà des solutions pour les particuliers qui veulent décharger leur véhicule pour leur usage personnel », précise le directeur technique.
Allonger la durée d’utilisation du renouvelable
Ainsi, cette voiture électrique efface entre 50 et 150 kWh de consommation par mois pour la communauté du Cailar : « Ce qui est réinjecté permet chaque jour de couvrir l’équivalent d’une fin de soirée de deux ou trois maisons qui sont en train de finir de produire et commencer à consommer sur le réseau », précise Amaury Pachurka. « On vient allonger la durée d’utilisation de l’électricité renouvelable [produite en journée, NDLR] pendant deux ou trois heures », résume-t-il.
Bon à savoir
L’usage d’un véhicule électrique en décharge n’endommage pas la batterie car il s’agit d’un usage « doux », avec une puissance d’injection maximum de 7 kW. Le vehicle-to-grid nécessite par ailleurs de faire attention aux cycles de la batterie et de favoriser les recharges (et décharges) lentes, avec des cycles constants.
Jongler entre les besoins de mobilité et les besoins énergétiques
Avec cette technologie de vehicle-to-grid, la voiture électrique devient donc une batterie stationnaire, mais elle n’en reste pas moins une voiture, destinée à la mobilité. « On a tendance à anticiper différemment les déplacements, mais il n’y a pas (…) des jours où on se dit qu’on ne va pas conduire : si j’ai besoin de la voiture, je la prends et je ne descends pas en dessous d’un niveau de charge qui ne me permettrait pas de faire ma journée », explique Amaury Pachurka. « Finalement, c’est comme si on découpait la batterie de la voiture en portions qui sont mobilisables pour le système [énergétique] et en portions qui sont dédiées à la mobilité », ajoute-t-il.
Vers le développement du vehicle-to-grid
La mairie du Cailar, elle-même membre producteur de la communauté, s’est laissé convaincre par le potentiel de cette technologie et a fait l’acquisition, pour la police municipale, d’un utilitaire électrique compatible vehicle-to-grid. Pour l’instant, la police municipale ne dispose pas d’une borne de recharge bidirectionnelle et ne peut donc pas encore bénéficier des avantages de cette technologie, mais cela ne saurait tarder. « On a déjà dupliqué ce modèle de communauté énergétique dans les Hauts-de-France à Montigny-en-Arrouaise, […] où on a intégré un véhicule électrique en smartcharging [recharge intelligente, Ndlr], qui sera bientôt rejoint par un second véhicule en vehicle-to-grid destiné à l’autopartage, pour pouvoir continuer à tester ces usages », partage Amaury Pachurka.
Au Cailar en tout cas, le projet ne cesse de convaincre de nouveaux participants. « On reçoit énormément de demandes et on espère atteindre les 150 membres d’ici à la fin de l’année 2024 », se félicite Tristan Pateloup. Le taux annuel moyen d’autoconsommation de cette communauté est de 89 %, dont 1 à 2 % sont imputables au vehicle-to-grid. En imaginant que d'autres membres de la communauté soient à terme équipés de voitures compatibles V2G, ce pourcentage pourrait s'envoler et permettre de se rapprocher encore plus d'un taux de 100 % d'autoconsommation.
Bon à savoir
Le taux d'autoconsommation correspond à la quantité d'électricité produite les panneaux solaires, qui est consommée sur place (ici dans la communauté énergétique).