A quoi ressemblera la voiture électrique de demain ? – Episode 2 : des technologies de recharge innovantes

Dans une série d’articles dont voici le deuxième épisode, nous vous proposons d’imaginer à quoi ressemblera la voiture électrique de demain. Après un premier épisode sur les modèles compacts destinés à rendre l’électromobilité accessible au plus grand nombre, nous faisons un focus sur les évolutions des technologies de recharge.

Eva Gomez journaliste pour le média Roole
Eva Gomez
Autoroute électrique (c) Olivier Merlot pour VINCI Autoroutes

Dès 2035, la vente de nouveaux véhicules thermiques sera interdite dans l’Union européenne. La voiture électrique a donc un bel avenir devant elle. Elle fait toutefois l’objet de nombreuses critiques pour l’instant : coût d’achat trop élevé, manque d’autonomie, infrastructures de recharge insuffisantes ou pas efficientes, coût environnemental de la production… Autant de pistes d’évolution et d'amélioration pour la voiture électrique dans les années à venir.

Et les projets et innovations qui se penchent sur son avenir sont nombreux. Dans une série d'articles, nous vous proposons une projection dans un futur proche, afin de visualiser à quoi ressemblera la voiture électrique de demain. Dans ce deuxième épisode, nous nous intéressons à ce qui constitue un frein à l'adoption de la voiture électrique pour de nombreux automobilistes : la recharge. Si la recharge reste un sujet d'inquiétude majeur, c'est parce qu'il n’existe pour l’instant qu’une seule manière efficiente de recharger un véhicule électrique, à savoir la recharge stationnaire via des câbles. Mais de nouvelles technologies pourraient changer la donne. Prises intelligentes, routes électriques, recharge à induction, vehicle-to-grid... A quoi ressemblera la recharge électrique de demain ? On dresse un tableau de quelques solutions en cours de développement.

Une recharge toujours plus rapide

Recharger un véhicule électrique peut être vécu comme une contrainte : il faut trouver une borne qui fonctionne, avoir le bon câble, les badges de recharge compatibles avec la borne choisie et accepter de faire une pause, le temps de laisser la batterie se recharger suffisamment. C’est sur les longs trajets en itinérance, qui nécessitent de prévoir des arrêts pour la recharge, que la contrainte est la plus rédhibitoire. Pour les électromobilistes convaincus, ces temps de charge sont devenus l’occasion de ralentir le rythme, de prendre le temps de visiter des endroits en cours de route, de commencer les vacances dès la première minute du voyage. Mais pour les nombreux automobilistes sceptiques ou réticents, la recharge constitue un point de crispation majeur. Pourtant, fin décembre 2023, la France comptait déjà plus de 118 000 points de charge publics (sur les parkings – de commerces et parkings publics –, sur la voirie, les aires d’autoroute, le long des nationales, etc.), correspondant à une capacité de recharge totale de 4 309 255 kW. « La France a doublé la puissance totale installée sur son réseau national en un an, ce qui traduit bien le développement de la recharge rapide et ultra-rapide sur le territoire », souligne l’Avere-France dans son baromètre de la recharge publié le 10 janvier 2024. Si 83% de ces points de charge publics ont une puissance comprise entre 7,4 et 22 kW, la recharge rapide se développe : 16% des points de charge ont une puissance supérieure à 50 kW, dont 4% entre 150 et 350 kW et même 4% au-dessus de 350 kW.

Et l’innovation se poursuit pour permettre aux batteries de se recharger en un temps record : la borne Terra 360, par exemple, a une capacité de 360 kW. Encore faut-il que la batterie du véhicule soit capable de recevoir une puissance aussi élevée… De ce côté, la recherche avance également : des chercheurs de l’Université Penn State aux Etats-Unis ont créé des cellules capables de se recharger à 80% en moins de 10 minutes. Et en Israël, la jeune pousse StoreDot a développé des cellules qui peuvent passer de 10 à 80% en 10 minutes… Sur le marché, la Hyundai Ioniq 6, par exemple, peut déjà gagner 351 km d’autonomie en 15 minutes de charge sur une borne ultra-rapide (350 kW). Et CATL, industriel de batteries pour voitures électriques qui fournit entre autres Tesla, produit depuis peu une batterie capable de récupérer 400 km d’autonomie en 10 minutes.

Une prise automatique

Au-delà de la puissance et de la capacité de charge, les industriels et chercheurs s’intéressent à de nouvelles façons de recharger les véhicules, à l'image de Gulplug avec sa solution Selfplug, qui signifie littéralement « branchement automatique ». Il s'agit d'une prise magnétique intelligente qui libère l'électromobiliste de la logistique des câbles et du branchement. Une prise installée à l'arrière de la voiture vient se brancher automatiquement, par magnétisme, sur un socle installé au sol. Il suffit de stationner la voiture au niveau du socle et elle se branche toute seule, comme par magie ! Cette solution est complémentaire aux prises classiques déjà présentes sur les véhicules : d'ici à 2026 ou 2027, elle pourra être installée sur n'importe quelle voiture électrique ou hybride rechargeable pour moins de 1000 euros.

Vers l’abandon des câbles de recharge ?

D'autres solutions de recharge ne nécessitent même (presque) plus de câbles de recharge ! C’est le cas notamment de la technologie de recharge à induction, qui repose sur le principe de transfert d’énergie sans fil grâce à un champ électromagnétique. Concrètement : une bobine, située dans une plaque posée au sol, crée un champ magnétique qui produit du courant capté par une seconde bobine, située dans une plaque fixée sous la voiture.

Prototype du système de recharge sans fil Ineez Air Charging par Valeo ©Valeo
Prototype du système de recharge sans fil Ineez Air Charging par Valeo ©Valeo

Dans les faits, la solution existe déjà mais elle a pour l’instant un coût très élevé (2000 à 3000 euros), pour un rendement inférieur à 90%. Des entreprises travaillent néanmoins à l’amélioration de ce système, à l’image de Valeo, qui a présenté sa solution Ineez Air Charging lors du CES de Las Vegas début 2024. « Les systèmes de recharge sans fil qui existent déjà fonctionnent à une fréquence de 85 kHz, ce qui oblige à utiliser des fils de litz [fil conducteur pour le transport de courant à haute fréquence, Ndlr] pour éviter la surcharge », explique Claudine Rochette, en charge du marketing produit sur les moteurs, l’électronique et l’écosystème de charge chez Valeo. « La solution Ineez Air Charging utilise une fréquence de fonctionnement ultra-basse, autour de 3 kHz, ce qui ne nécessite plus qu’un fil de cuivre simple. C’est beaucoup plus léger, on réduit de 50% le poids du système embarqué sur le véhicule électrique », précise-t-elle. Un prototype en théorie compatible avec tous les modèles de voitures équipées de batteries de 400 à 800 volts, qui annonce un rendement de 93% sur une puissance de charge de 7 kW. Cette solution n’est pas destinée à de la charge rapide mais plutôt à de petites charges « par biberonnage, au domicile, au bureau et dès que le véhicule peut être parqué », explique Claudine Rochette. La recharge à induction pourrait devenir la norme d’ici une dizaine d’années, mais elle ne fait pas l’unanimité. Le chercheur au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), Didier Bloch, pointe du doigt la perte de rendement de la recharge sans fil. « Les câbles permettent d’avoir un meilleur rendement… Le but est d’économiser l’énergie ! », souligne-t-il.

Se recharger tout en roulant

Si pour la recharge stationnaire, la technologie de l’induction ne convainc pas tout le monde, elle pourrait cependant se démarquer sur la recharge dynamique, avec des routes électriques qui rechargent les voitures en mouvement. En France, un consortium piloté par Vinci Autoroutes a lancé en septembre 2023 une expérimentation qui a pour objectif de démontrer la pertinence économique et technique de la recharge dynamique. « Nous allons tester deux technologies : le rail et l’induction. Elles ont déjà été testées sur route, mais jamais sur autoroute », explique Louis du Pasquier, en charge des mobilités décarbonées chez Vinci Autoroutes. Ces technologies vont être testées sur l’A10, près du péage de Saint-Arnoult dans les Yvelines, sur 2 km pour l’induction et 2 km pour le rail. L’induction est selon lui « la solution la plus magique et la plus élégante », car elle est totalement invisible une fois installée. « On rabote la couche de roulement [première couche à la surface de la chaussée, Ndlr] et on pose des bobines de cuivre sous la chaussée, avant de remettre du bitume par-dessus », détaille Louis du Pasquier. « Chaque bobine est connectée par un câble électrique au réseau. Le champ électromagnétique émis par la bobine sous la chaussée est reçu par la bobine installée sous le véhicule », ajoute-t-il. Il s’agit donc de la même technique que pour l’induction stationnaire : « C’est de l’induction stationnaire, confirme Louis du Pasquier, mais qui dure quelques millisecondes. Chaque bobine émet un peu de champ magnétique, reçu au fur et à mesure que la voiture avance », poursuit-il. L’entreprise Electreon, qui fournit les bobines à induction pour cette expérimentation, a déjà prouvé l’efficacité de cette solution, déployée sur route ouverte en Suède, avec une puissance de 70 kW. « Cette solution a une grande vertu, c’est qu’elle ne nécessite pas de maintenance. Une fois les bobines installées sous la chaussée, on n’y touche plus pendant au moins 20 ans », précise Louis du Pasquier. « Notre objectif est d’atteindre 200 kW de puissance pour assurer la recharge des camions », ajoute-t-il.

La deuxième technique testée par ce consortium est celle du rail. « C’est le même principe que pour les circuits électriques de petites voitures pour les enfants : on pose un rail plat, comme on peut le voir sur certains tramways à Bordeaux ou à Strasbourg par exemple, et le rail se déclenche quand un véhicule passe », explique le chargé des mobilités décarbonées de Vinci Autoroutes. Le rail est lui-même détecté par les voitures, qui doivent être équipées de petits patins connecteurs. « Ils détectent et descendent automatiquement sur le rail, qui est également connecté au réseau électrique », précise Louis du Pasquier. Le gros avantage de cette technologie est qu’elle ne pose aucun problème de puissance : « Il y a un contact donc on peut envoyer des puissances très élevées, tout en s’assurant de maintenir l’adhérence dans toutes les conditions météorologiques », explique-t-il. « Maintenant, on doit observer comment le rail se comporte avec la chaussée quand des poids lourds roulent dessus… ».

Bon à savoir

Il existe une troisième technologie de recharge dynamique, par caténaires. Elle est déjà mature et déployée, notamment en Allemagne, sur route et autoroute pour les poids lourds. Mais elle n’est pas compatible avec des véhicules légers. Par ailleurs, elle pose une problématique d’accidentologie, avec des risques de chute de caténaires sur les voies, ou encore avec la présence de poteaux latéraux créant des obstacles.

« Lever les contraintes d’autonomie et de recharge »

Aucune de ces deux solutions n’est parfaite, mais elles ont l’avantage commun de pouvoir réduire, à terme, la taille des batteries. « Le système de recharge dynamique, s’il était déployé partout sur les principaux axes routiers, permettrait de lever les contraintes d’autonomie et de recharge. Des véhicules avec de petites batteries pourraient traverser la France, voire l’Europe », fait remarquer Louis du Pasquier.

Bon à savoir

L’entreprise Electreon a testé le potentiel de la recharge dynamique à induction dans le cadre d’un défi baptisé « Break The Anxiety Barrier » [briser la barrière de l’anxiété, Ndlr]. Une Toyota RAV4 (hybride rechargeable) a roulé pendant 100 heures grâce à son seul moteur électrique !

Le stockage de kilowatts supplémentaires

Afin de pallier cette limite d'autonomie, qui constitue un frein pour de nombreux automobilistes, certaines jeunes pousses cherchent à «prolonger » la batterie du véhicule. C'est le cas de EP Tender avec sa Tender batterie, qui s'apparente à une petite remorque attelable à n'importe quel véhicule. Cette batterie de secours stocke une énergie (décarbonée), et peut ainsi alimenter la batterie du véhicule en continu pour offrir jusqu'à 300 km d'autonomie supplémentaires. La commercialisation de cette solution devrait avoir lieu en 2025.

Le soleil comme source d’appoint

Des solutions de production d'énergie sont aussi à l’étude pour permettre d’alimenter la batterie en roulant, notamment grâce à des panneaux solaires embarqués. Mais un tel système a une efficacité relative, car elle dépend de l’ensoleillement, de l’ombrage, du vent et de toute autre variation météorologique difficile à anticiper. Certains s’y risquent tout de même, comme la start-up néerlandaise Squad Mobility, qui a développé le quadricycle électrique solaire Squad Solar City. Cette voiture sans permis contient 2,4 m² de panneaux solaires sur le toit, permettant de gagner en théorie 20 km d’autonomie par jour. En 2019, Hyundai a également dévoilé son premier modèle à toit solaire, « capable d’assurer la charge même en roulant (...) Le système de toit solaire ne joue aujourd’hui qu’un rôle de soutien, mais il ouvre de nouvelles perspectives », estimait alors Hyundai en 2019. En 2022, le constructeur a présenté la nouvelle version de sa Sonata Hybrid équipée de cellules solaires sur le toit. Ce système permettrait – à raison d’une exposition de 6 heures au soleil – de gagner entre 4,5 et 6,5 km par jour. Le constructeur estime que le gain d'autonomie peut s'élever à 1300 km sur une année. Cela représenterait tout de même environ 10% du kilométrage moyen réalisé par les Français chaque année, à savoir 12 000 km !

Une recharge à double sens

Toutes ces technologies ouvrent donc de nouvelles perspectives pour la recharge des voitures électriques… Qui, une fois chargées, peuvent devenir elles-mêmes des sources d’énergie : c’est ce que l’on appelle la recharge bidirectionnelle ou « vehicle-to-grid ». Grâce à un échangeur bidirectionnel, le véhicule peut se charger et réinjecter le surplus d’énergie non consommée dans le réseau électrique. « Quand la voiture ne roule pas, elle échange de l’énergie avec le réseau, qui pourra la réutiliser pendant les pics de consommation. Vendre des kWh au réseau peut permettre de rembourser petit à petit le surcoût à l’achat de la voiture électrique et d'en faire une source de profits. Cela change les choses : le véhicule passe alors de centre de coût à investissement », souligne le chercheur au CEA, Didier Bloch. Un système encore plus intéressant s’il est couplé à une installation produisant de l'électricité à partir d’une énergie renouvelable : c’est ainsi une énergie décarbonée qui vient alimenter le réseau pendant les pics de consommation. En France, une expérimentation est réalisée au sein de la gare TGV d’Aix-en-Provence. Le projet « Solar Camp » se compose d’une ombrière photovoltaïque sur le parking, ainsi que de bornes de recharge bidirectionnelles, qui viennent alimenter la gare en énergie. La région Occitanie a également créé un démonstrateur baptisé Flexitanie. Il s’agit d’un « service de pilotage de bornes de charge bidirectionnelles vehicle-to-grid afin notamment de recueillir les attentes et les perceptions des clients et analyser les synergies potentielles avec la production d’énergie renouvelable », précise la Région.

Ce démonstrateur en est désormais au stade d’expérimentation de la complémentarité du vehicle-to-grid et de la recharge intelligente (ou « smart charging »). Celle-ci permet l’optimisation de la recharge des véhicules électriques, en identifiant les moments les plus propices à une recharge économique, qui a un impact moindre sur le réseau. Certains constructeurs équipent déjà leurs modèles électriques d’une technologie de charge bidirectionnelle, comme Tesla, Ford et bientôt Renault sur sa R5 prévue pour le printemps 2024. Cette dernière intégrera également un système de recharge intelligente. L’industriel estime que cette technologie devrait permettre d’économiser 400 kg de CO2 par an et par voiture.

Dans le futur donc, la recharge des voitures électriques pourrait se faire en mouvement, à grande puissance, sans fil, avec des panneaux solaires, de façon intelligente… Une multitude de solutions – parfois complémentaires – qui visent à répondre à la contrainte de recharge.

Photo d'ouverture : Visuel futuriste d'une autoroute électrique, par Olivier Merlot pour Vinci Autoroutes ©Olivier Merlot