15 millions de Français ne sont pas libres de leurs déplacements

Et si la liberté de déplacement devenait un luxe en France ? D’après le nouveau baromètre Wimoov publié le 19 septembre 2024, 15 millions de Français sont en situation de précarité de mobilité en raison de leur situation socio-économique. Alors que le prix des différents carburants ne cesse d'augmenter et que la dépendance à la voiture individuelle est toujours aussi prégnante, les inégalités ne font que se creuser.

Eva Gomez journaliste pour le média Roole
Eva Gomez
un arrêt de bus vide en lisière de forêt
Parmi ceux qui ont dû renoncer à un déplacement plus de 5 fois en 5 ans, 43% sont des demandeurs d’emploi de longue durée. ©iStock

Plus de 20 % des Français sont en situation de précarité de mobilité. C’est ce que nous apprend le baromètre des mobilités du quotidien publié par Wimoov le 19 septembre 2024. D’après cette étude, 15 millions de Français majeurs ne sont pas libres de leurs déplacements. « Les Français sont toujours aussi dépendants à la voiture et ont vu leur budget carburant augmenter sur les deux dernières années… Dans l'indicateur de précarité de mobilité, on a des personnes à bas revenus qui doivent parcourir de longues distances. Et 10 % des répondants disent ne pas avoir de solutions de mobilité », précise Sébastien Bailleul, directeur des partenariats et du plaidoyer de Wimoov. Une précarité qui touche toutes les tranches d’âges et toutes les populations, qu’elles vivent en ville, en zone périurbaine, ou en territoire rural, et qui s’amplifie : lors de la précédente édition de ce baromètre qui s’appuyait sur des données de 2021, le nombre de Français en situation de précarité de mobilité était alors estimé à 13,3 millions.

L’augmentation du prix des carburants a eu un impact direct important

L’aggravation de la précarité de mobilité observée par ce baromètre entre 2021 et 2023 s’explique en grande partie par la hausse des prix des carburants, qui a un impact direct sur le pouvoir d’achat des ménages, en particulier les plus modestes. « [Ces ménages sont] dépendants de la voiture individuelle et doivent rogner sur d’autres postes essentiels de la vie quotidienne (alimentation, énergie, chauffage…), soit renoncer à se déplacer », souligne Wimoov. En janvier 2021, le prix moyen du litre de SP95 était de 1,39 €, tandis que celui du diesel s'élevait à 1,32 €. Deux ans plus tard en janvier 2023, les prix moyens atteignaient 1,92 € pour le SP95 et 1,82 € pour le diesel. Des frais conséquents dans le budget des Français qui ont parfois dû renoncer à des déplacements, le plus souvent liés à leur vie personnelle : visite à un proche, activités sportives et de loisirs, rendez-vous médicaux.

Bon à savoir

En juin et juillet 2022, le prix des carburants a atteint un niveau record : 2,07 € le litre de SP95 et 2,04 € celui du diesel. (Source : Roole Data)

Les jeunes sont de plus en plus touchés

« Parmi ceux qui ont dû renoncer à un déplacement plus de 5 fois en 5 ans, 43 % sont des demandeurs d’emploi de longue durée, 29 % sont des personnes n’ayant pas le permis de conduire et 27 % sont des personnes issues d’un foyer à faibles revenus », relève le baromètre. « Pour les demandeurs d'emploi, plus la période de chômage est longue et plus les personnes sont impactées et renoncent à leurs déplacements », ajoute Sébastien Bailleul.

62% des 18-24 ans disent avoir dû renoncer à un ou plusieurs déplacements. 20% ont dû renoncer à un emploi ou à y postuler.

Deux autres publics émergent parmi ceux qui se voient contraints d'annuler des déplacements : les séniors et les jeunes. 62 % des 18-24 sont concernés, c'est plus que la moyenne de l'échantillon global qui se situe à 40 %. 20 % de ces jeunes disent même avoir dû renoncer à un emploi ou à y postuler en raison de leurs difficultés de mobilité. « C'est assez surprenant et inquiétant », commente le directeur des partenariats et du plaidoyer de Wimoov. « On remarque que les jeunes sont moins détenteurs du permis de conduire : en 2019 ils étaient 79 % à avoir le permis, contre 61 % en 2023 », ajoute-t-il. Une baisse qui peut s'expliquer par le coût important de cet examen, qui va de pair avec une situation de précarité financière de plus en plus importante chez les jeunes. « On espère aussi qu'il y a une part de conscience environnementale plus importante chez les 18-24 ans et qu'ils se disent qu'on a d'autres moyens de se déplacer que la voiture thermique individuelle », rassure Sébastien Bailleul.

Une dépendance tenace à la voiture individuelle

Malgré des difficultés indéniables, la dépendance à la voiture individuelle reste inchangée. Hormis pour les ménages les plus modestes, la hausse des prix du carburant n’a pas entravé la mobilité d’une majorité de Français. « La dépense de carburant, bien que croissante et impactant sur le quotidien, demeurerait incompressible », remarque Wimoov. 11,5 % des répondants à cette enquête estiment être dépendants à la voiture individuelle, contre 10,5% en 2021. Si on ne tient compte que des Français automobilistes, ils sont même 80 % à se dire dépendants à la voiture d’après l’Observatoire « Les Français, leur voiture et l’économie de la débrouille », réalisé par l’Ifop pour Roole en 2024. « Cette dépendance accrue à la voiture (…) est un facteur important de précarité de mobilité, voire de grande précarité de mobilité pour les personnes à faibles revenus qui doivent alors rogner sur d’autres dépenses essentielles », ajoute Wimoov dans son baromètre. « Les alternatives à la voiture individuelle ne se développent pas assez vite, le maillage est insuffisant ou les offres ne sont pas adaptées… Donc les Français n'ont pas d'autres choix », abonde Sébastien Bailleul.

Bon à savoir

D’après l’Observatoire « Les Français, leur voiture et l’économie de la débrouille », réalisé par l’Ifop pour Roole en 2024, 35% des automobilistes ont renoncé à emprunter l’autoroute pour faire des économies. Une proportion qui s’établit même à 46% parmi les automobilistes les plus modestes.

Les ZFE pénalisent les ménages les plus modestes 

Des inégalités qui se creusent également en raison des réglementations visant à diminuer la pollution de l’air, comme l’instauration des Zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m). Douze villes en France ont déjà mis en œuvre ce dispositif qui a pour but d'exclure les véhicules les plus polluants des centres-villes, sur des périmètres plus ou moins étendus. « Les inégalités sociales sont patentes : les véhicules les plus anciens et plus fortement émetteurs de particules fines sont surtout possédés par les catégories socioprofessionnelles défavorisées », constate Wimoov. Et même si des aides financières existent pour accompagner la transition vers une voiture plus propre – à l’image du leasing social, du bonus écologique ou de la prime à la conversion – 67 % des Français ne connaissent pas (ou connaissent mal) ces aides. D’ailleurs, 71 % des répondants à cette enquête estiment ne pas avoir les moyens d’acquérir une voiture électrique. « Cette affirmation est d’autant plus marquée chez les demandeurs d’emploi, les employés et ouvriers et les ménages dont le revenu est inférieur à 1000 € », relève le baromètre.

Bon à savoir

46% des Français estiment que les aléas climatiques ont eu un impact sur leur mobilité au cours des trois dernières années. « 18% ont dû changer de mode de transport tandis que 30% ont dû renoncer à se déplacer ponctuellement ou durablement », relève Wimoov.

Vers de nouveaux usages pour faire baisser le budget auto ?

Pour faire face à l’accroissement de cette précarité de mobilité, les Français se tournent parfois vers des solutions alternatives à la voiture individuelle. « Pour 50 % des répondants, le covoiturage au quotidien est une solution qui permet de réduire ses dépenses », rapporte Wimoov. Rappelons que le matin aux heures de pointe, près de 84 % des Français sont seuls dans leur voiture… Pourtant, la pratique du covoiturage peut, en plus de diminuer le nombre de véhicules en circulation et donc la pollution de l’air, permettre de réaliser de belles économies : à raison de 10 centimes par occupant et par trajet, un conducteur qui partage ses trajets du quotidien peut espérer économiser 100 à 150 euros par mois. Pour l’instant en France, seuls 3 % des trajets du quotidien sont covoiturés d'après le Ministère de la transition écologique. « En fait, le covoiturage est plutôt bien développé quand il est informel, entre voisins ou entre collègues », nuance Sébastien Bailleul. Une bonne façon de partager les frais d'usage d'une voiture, tout en créant du lien social !