Voitures électriques : l’Europe arrivera-t-elle à combler son retard industriel ?

L’Europe semble avoir pris du retard dans la course à l’électrique, tandis que les constructeurs chinois et les géants de l’électronique investissent massivement. Comment le Vieux continent peut-il rattraper ce retard et atteindre ses objectifs de décarbonation de l’industrie automobile ? Réponse avec François Gemenne, président de l'Alliance pour la décarbonation de la route.

Eva Gomez journaliste pour le média Roole
Eva Gomez
Publié le 27/10/2025

Temps de lecture : 9 min

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Le retard pris par les constructeurs européens sur le marché de l'électrique est-il récupérable ? ©Roole

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La transition vers l’automobile électrique met l’industrie européenne face à de nouveaux défis de taille – technologiques, économiques, culturels. François Gemenne, président de l’Alliance pour la décarbonation de la route, revient sur la place des constructeurs européens dans le marché mondial de la voiture électrique et sur les échéances imposées par l’Union européenne.

Voitures électriques : le retard européen face à l'offensive chinoise

En 2024, 10,6 millions de véhicules neufs ont été immatriculés en Europe, parmi lesquels 13,6 % de véhicules100 % électriques1↓. À titre comparatif, la même année en Chine, 22,9 millions de véhicules neufs ont été vendus, dont 11 millions de véhicules électriques, ce qui représente la moitié du marché. « Aujourd’hui, on voit bien le retard qui a été pris par les constructeurs européens sur ce segment du marché. Ils ont tardé à prendre le pli et à se convaincre que le futur de l’automobile serait électrique », estime François Gemenne. Résultat : en 2024, les plus gros vendeurs de voitures électriques à l'échelle mondiale sont américains et chinois : Tesla (US), Byd (Chine) et Geely (Chine) dominent le marché. Et dans le top 10 des constructeurs qui vendent le plus de voitures électriques dans le monde, on trouve seulement trois Européens : Volkswagen, BMW et Stellantis2↓, qui pèsent à eux trois, moins lourd les deux géants Testa et Byd indépendamment. Dans le top 20, les constructeurs chinois dominent et représentent plus de la moitié du marché.

Seuls deux européens figurent parmi les constructeurs qui vendent le plus de voitures électriques dans le monde. ©Roole
Seuls deux européens figurent parmi les constructeurs qui vendent le plus de voitures électriques dans le monde. ©Roole
Seuls deux européens figurent parmi les constructeurs qui vendent le plus de voitures électriques dans le monde. ©Roole

Pour expliquer ce retard, l'expert évoque notamment une négligence des constructeurs européens concernant la demande en voitures électriques citadines, au profit de la catégorie SUV. Le segment des SUV domine effectivement le marché européen : toutes motorisations confondues, environ 51 % des ventes de voitures neuves en 2023 étaient des SUV, contre 21 % de citadines3↓. Or, sur le marché de l’électrique où les prix d’acquisition sont déjà élevés, le segment SUV reste encore inaccessible pour une grande partie des automobilistes.

« Un objet connecté avec des roues et un volant »

Autre facteur expliquant ce retard selon François Gemenne : l’approche européenne de la voiture électrique. « Quand je suis allé à Shanghai, j’ai évidemment été frappé de voir le nombre de voitures électriques en circulation, mais aussi par le fait que la plupart des marques nous sont inconnues. Et c’est parce que ce ne sont pas des fabricants d'automobiles, mais des fabricants d'électronique. La voiture électrique est considérée en Chine comme un objet connecté sur roues », remarque le président de l’Alliance pour la décarbonation de la route. Ainsi en Chine, le géant de l’électronique Huawei fabrique des voitures électriques, comme la Stelato S9, de même que Xiaomi ou Baidu.

En Europe, on a tendance à considérer la voiture comme une pièce de sa maison ou comme un prolongement de sa personnalité.

François Gemenne,
président de l’Alliance pour la décarbonation de la route.

En Europe, la fabrication reste l’apanage des constructeurs historiques. « On imagine mal des Atos, Nokia ou Ericsson fabriquer des voitures », sourit François Gemenne. « Mais c’est peut-être un changement culturel que l’on doit opérer, poursuit-il. Aujourd’hui, on a tendance à considérer la voiture comme une pièce de sa maison ou comme un prolongement de sa personnalité… Peut-être qu’il faudra se dire que les voitures électriques sont des objets connectés avec des roues et un volant ! »

Le prix d’achat comme levier d’adoption massive

Par ailleurs, pour que la production européenne se massifie, il faudra « arriver à une parité de prix entre le thermique et l’électrique ». L’expert est convaincu qu’à terme, les voitures électriques seront moins chères que les voitures thermiques. La voie pour y parvenir : « des batteries plus petites, plus recyclables et donc plus recyclées », avec une technologie qui mûrit et un volume de production qui augmente. Pour l’instant, beaucoup de modèles électriques restent plus chers que leurs équivalents thermiques. Mais l’écart a tendance à se réduire : par exemple, la Renault Clio, qui est l’une des voitures les plus vendues en Europe, coûte près de 24 000 euros, contre 25 000 euros pour son équivalent électrique : la Renault 5 e-Tech.

Les aides à l’achat poussent aussi vers une relocalisation de la production : en France, le bonus écologique est recentré depuis 2024 autour de modèles atteignant un score environnemental minimum, produits en grande partie en Europe. Une surprime de 1 000 euros est même attribuée aux modèles 100 % européens, de la batterie à l'assemblage. Une façon d’orienter les choix des consommateurs et d’encourager les constructeurs à développer leur production de véhicules électriques.

L’interdiction des thermiques neuves en 2035 : contrainte ou opportunité ?

Cette orientation industrielle s’inscrit dans un calendrier européen plus large, avec en ligne de mire l’interdiction de la vente de voitures thermiques neuves en 2035. Pour certains constructeurs, cela représente un défi gigantesque, très régulièrement remis en question. Mais François Gemenne voit cette date comme un horizon nécessaire. « Si on ne fixe jamais de date butoir, on a du mal à engager les changements », estime-t-il. Selon lui, l’adaptation pourrait même s’opérer plus tôt que prévu : « Ma conviction, c’est qu’en réalité nous y serons avant et que, dès 2030 ou 2032, il n'y aura plus de voitures thermiques neuves en vente en Europe (…) », ajoute-t-il.

La Vallée de la batterie, levier stratégique pour l’industrie française

Pour retrouver une souveraineté stratégique, l’Europe pousse le développement de chaînes d’approvisionnement locales. En France, la Vallée de la batterie dans les Hauts‑de‑France est un projet structurant pour la création d’une filière industrielle allant de l’extraction des métaux au recyclage des batteries usagées. Dès la fin de l’année 2025, la gigafactory de batteries de l’entreprise Verkor à Bourbourg (59) devrait être mise en service avec une capacité de production de 16 GWh – de quoi équiper en batteries 300 000 voitures électriques par an. La start-up grenobloise a pour ambition de passer à une capacité de production de 50 GWh en 2030. Le développement de projets industriels comme la Vallée de la batterie montre que l’Europe dispose encore des leviers nécessaires pour rattraper son retard et bâtir une filière électrique compétitive.

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