Voitures électriques : pourquoi leurs pneus s’usent-ils plus vite ?
Poids, couple moteur, puissance… Les voitures électriques ont des caractéristiques bien à elles qui ont un impact sur leurs pneumatiques : leur usure est plus rapide qu'elle ne l'est sur les voitures thermiques dans des conditions équivalentes. Nous sommes allés voir du côté de l’industrie du pneu pour comprendre pourquoi et identifier les solutions et perspectives.
Les véhicules électriques pèsent plus lourd que les véhicules thermiques et ce n’est pas un secret. Le poids du pack batterie ajoute facilement 300 kg au poids total de la voiture par rapport à son équivalent thermique : par exemple, une Fiat 500 essence pèse 865 kg quand une Fiat 500 électrique pèse 1,2 tonne ; une Renault Mégane diesel affiche 1,3 tonne sur la balance contre 1,6 tonne pour la Mégane E-Tech EV60… Ce qui n’est pas sans conséquence sur les pneumatiques, qui subissent ce poids supplémentaire. « Sur les voitures électriques, les pneus sont soumis à des contraintes nouvelles, donc ils s’usent beaucoup plus vite », explique Régis Audugé, directeur général du Syndicat du Pneu. Le poids n’est pas le seul facteur qui entre en compte. « Ça dépend aussi de la puissance du véhicule et de son couple [sa capacité à accélérer, Ndlr] », ajoute Régis Audugé. Le couple est en effet plus puissant sur les véhicules électriques que sur leurs équivalents thermiques, ce qui a tendance à accélérer l’usure des pneus. « Des études ont été menées sur la durabilité des pneus, notamment en Suisse, et sur les voitures électriques, on constate une usure supplémentaire de l’ordre de 30 à 50%, ce n’est pas négligeable ! », partage le directeur général du Syndicat du Pneu.
Presque 10 000 km de durée de vie en moins en électrique
La société britannique de gestion de flottes, Epyx, a recueilli des données auprès de milliers de voitures de flottes d’entreprises et conclu qu’en moyenne, les pneus de voitures électriques ont été changés au bout de 29 000 km, contre 40 000 km pour les véhicules hybrides et 39 000 km pour les modèles essences et diesel. Car il n’existe pas vraiment de pneumatiques spécifiques aux voitures électriques qui puissent répondre aux particularités de la propulsion et du poids de ces véhicules : les mêmes modèles sont utilisés sur tous types de motorisation. « Il y a déjà environ 16 000 références de pneumatiques, ce qui fait beaucoup pour les manufacturiers qui les produisent et pour les distributeurs qui les stockent. Si trop de nouvelles références spécifiques aux voitures électriques venaient s’ajouter, on aurait des problèmes sur la chaîne d’approvisionnement : il faut pouvoir répondre aux besoins des clients dans de brefs délais », souligne Régis Audugé.
Bon à savoir
Le contact pneu-chaussée provoque une remise en suspension de particules fines déposées sur la chaussée. Avec les voitures électriques, la quantité de particules fines remises en suspension est plus élevée qu’avec les voitures thermiques, « du fait de leur plus grande taille de pneumatique due à leur masse véhicule supérieure », soulignait l’Ademe dans une étude d’avril 2022.
Des pneus silencieux : une priorité pour les voitures électriques
L’adaptation des pneumatiques aux véhicules électriques ne se fait donc pas sur la durabilité, mais des modèles plus « silencieux » se développent afin de répondre aux attentes des conducteurs de voitures électriques. « Quand on achète une voiture électrique, on achète un véhicule silencieux. Si le bruit du pneu vient remplacer le bruit du moteur, les bénéfices sont moindres », remarque Régis Audugé. « Les constructeurs préfèrent mettre en première monte des pneus directement conçus pour avoir le moins de bruit de roulement à basse vitesse », ajoute-t-il.
Les besoins des conducteurs sont les mêmes quel que soit le type de véhicule. Nous avons trois priorités : l’adhérence, le freinage sur sol mouillé et la durée de vie.
Mathieu Petitjean,
responsable technique chez Bridgestone
Chez Bridgestone par exemple, la technologie B-Silent répond à cette attente. « Les voitures électriques accentuent les bruits de roulement des pneumatiques. Avec la technologie B-Silent, on intègre une mousse dure à l’intérieur du pneumatique pour réduire les bruits de résonance et de roulement. C’est une technologie appliquée surtout sur les modèles haut de gamme, qu’on développe aujourd’hui de plus en plus pour les voitures électriques », explique Mathieu Petitjean, responsable technique. Mais en dehors de cette particularité, chez Bridgestone, la stratégie de développement des pneumatiques s’applique aussi bien aux voitures électriques qu'aux voitures thermiques. « Les besoins des conducteurs sont les mêmes quel que soit le type de véhicule. Nous avons trois priorités : l’adhérence, le freinage sur sol mouillé et la durée de vie », souligne Mathieu Petitjean. Pour cette raison, même si l’usure plus rapide des pneus est avérée sur les voitures électriques, Bridgestone ne souhaite pas pour l’instant développer des gammes spécifiques à l'électrique. « Nous souhaitons faciliter l’approche du client et la logistique », ajoute le responsable technique.
Une gamme spécifique chez Hankook
Mais certains manufacturiers se risquent tout de même à l’exercice, comme Hankook, qui a présenté fin octobre dernier le nouveau pneumatique de sa gamme Hankook iON, spécialement dédiée aux véhicules électriques. Différentes technologies ont été développées par le manufacturier pour répondre aux besoins des véhicules électriques : « La technologie i Sound Absorber a été développée pour offrir une conduite silencieuse et agréable dans toutes les plages de vitesse. La technologie i Super Mileage a été pensée pour maximiser le kilométrage et prolonger la durée de vie des pneus. (…) La technologie i Extreme Lightness a été développée pour réduire le poids du pneu et soutenir le couple instantané élevé », énumère Francesco Coppola, chef de projet du département développement au centre technique européen d’Hankook. Le dernier modèle de cette gamme, baptisé iON FlexClimate, « prend en compte le poids plus élevé du véhicule (…) en intégrant une ceinture renforcée avec des fibres d’aramide particulièrement résistantes et une répartition uniforme de la charge sur toute la largeur de la bande de roulement (…) ce qui réduit son usure », précise Hankook dans un communiqué.
Tant qu’on n’aura pas des batteries plus légères et des véhicules plus légers, nous serons face aux mêmes problématiques pour les pneus…
Régis Audugé,
directeur général du Syndicat du Pneu
Les manufacturiers face aux enjeux environnementaux
Mais cette démarche reste pour l’instant assez isolée dans l’industrie du pneumatique. « Les manufacturiers travaillent peu sur l’adaptation au poids et au couple des voitures électriques, ils travaillent surtout sur le retraitement des pneus après usage ou sur la composition des pneus en intégrant des matériaux biosourcés et issus du réemploi », souligne le directeur général du Syndicat du Pneu, Régis Audugé. Ce dernier ajoute que les enjeux de l’industrie du pneumatique concernant les voitures électriques sont intrinsèquement liés aux évolutions de l’industrie automobile. « Tant qu’on n’aura pas des batteries plus légères et des véhicules plus légers, nous serons face aux mêmes problématiques pour les pneus … On subit la façon dont le véhicule électrique est produit ! », conclut-il.